De la mer aux limans

Samedi 21 mars 2020. J253. Plage de Corbu, mer noire, Roumanie. “Le printemps est arrivé, comme un papillon léger…”. La chanson que Solène nous chante depuis exactement un an est enfin redevenue d’actualité ! Et ce matin, nous la chantons tous ensemble avec joie, alors qu’elle nous a rabâché les oreilles avec tout l’été, l’automne et l’hiver dernier.

Ce matin c’est Capucine qui s’est réveillée en premier, caressée par les premiers rayons de soleil. La fenêtre de son lit est placée juste en face du lever de soleil, juste au dessus de la mer noire. Elle me prévient doucement que le moment est fabuleux. Il n’est pas encore 7h du matin mais je la rejoins en bas et nous regardons ensemble le spectacle. Le soleil orange monte vite en blanchissant. Et les oiseaux du matin voyagent devant nous, suivant cette côte nord-sud, sud-nord, qui les guide vers leurs zones de vie. Goélands, cormorans, cigognes, sternes,…
L’école est vite faite ce matin et nous redescendons à la plage.

Les filles vaquent à leurs constructions en coquillages pendant que les parents sont peinards. Ça nous va bien l’isolement social. Le vent est frais, mais installés par terre entre les hautes herbes sèches nous pouvons vraiment lézarder tranquillement au soleil. Et puis j’ai envie de marcher. Seule, sur cette longue plage. Marche rapide. Juste pour me dépenser. Les pieds dans l’extrémité glacée des vagues de la mer noire. Vivifiant. Revigorant. Énergisant. Depuis notre arrivée en Roumanie nous vivons chaque jour comme un rab de Carapate, une journée bonus pour laquelle il faut profiter de chaque instant. Alors même les pieds gelés, j’apprécie.

Les limans, entre Danube et mer noire

Après déjeuner nous prenons la route, encore juste une petite heure en direction d’un nouveau spot. Nous arrivons au cap Dolojman, pointant entre les limans Golovița et Razim, qui forment ensemble l’une des plus grandes lagune qui compose le Delta du Danube. Nous entrons de plein pied dans la zone classée au patrimoine mondial de l’humanité. Une campagne faite de plaines céréalières toujours, mais bordée d’une zones humide d’étangs et de roseaux. L’endroit est touristique, en temps normal, les villages sont charmants, bien entretenus, les fruitiers sont fleuris et certaines maisons ont un toit de chaume. Nous croisons plusieurs petits musées, nous ne regardons même pas, aucune chance qu’ils soient ouverts, et quand bien même ce ne serait pas prudent.

Nous nous stationnons sur un promontoire, face aux roseaux et au soleil couchant. Le spot est encore très beau ce soir. Sale, jonché de ces satanées lingettes, mais au cœur d’un paysage émouvant. Dans ces roseaux, doivent se cacher des tas d’oiseaux. J’ai hâte de voir ça, tranquillement cachée dans mon salon.

Pierre et moi voulons explorer les alentours. Les filles ne veulent plus sortir. Elles jouent ensemble à l’un de ces jeux inventés par Capucine. Nous n’y prêtons pas vraiment garde et les laissons ensemble à l’intérieur puisque tel est leur souhait. Sortir un moment à deux, il ne faut pas se refuser ce moment précieux.

Cité d’Argamum

Jumelles et appareil photo, nous partons à la chasse aux oiseaux. Croisons un garde, devant sa baraque traditionnelle. Un petit musée certainement. Fermé, visiblement. Mais toujours gardé. L’homme nous fait signe de monter jusqu’à la cabane et un peu plus haut. Il nous demande d’où venons-nous. De France, non, en fait nous venons de Bulgarie. Notre explication est compliquée et il ne comprend pas bien l’anglais. Mais il le comprend suffisamment pour avoir subitement un mouvement de doute et de recul. Nous essayons de le rassurer, sans vraiment y arriver. Passons notre chemin. Nous montons, à la cabane nous continuons. De loin, l’homme s’évertue à nous rediriger avec de grands gestes. Nous n’arrivons pas à le comprendre de loin, mais visiblement, il ne se lasse pas de faire ses grands mouvements de bras, et souhaite vraiment nous aider à prendre le bon chemin, celui qui est barré. Pas évident à comprendre. Pierre le regarde aux jumelles pour le comprendre. Et nous prenons finalement le bon chemin. Nous arrivons sur les ruines d’une ancienne cité grecque, Argamum. Le chantier de fouilles est en cours. L’endroit a probablement été fondé au VIIe siècle av. J.-C., puis passé aux mains des romains d’orient devenus byzantins. Outre quelques bâtiments, ce sont surtout des murailles et des basiliques chrétiennes des Ve-VIe siècles qui ont été exhumées, mais 70% des ruines de la cité restent inconnues. À l’époque d’Hérodote, le cap Doloşman était encore une pointe en pleine mer, et le lac de Golovița, que l’on appelle liman, n’existaient pas ; la cité d’Argamum était un port maritime. Au VIIe siècle, la fermeture du golfe ont fait abandonner  la cité, qui tomba en ruines.

Avec Pierre, nous découvrons l’endroit en gardant un œil sur notre maison perchée sur son promontoire. Un véhicule se stationne à proximité, des personnes se dirigent vers elle. “Pierre, regarde aux jumelles !”. Sans se parler, nous pensons à la même chose, au contrôle de police. Comment réagiraient les filles, seules, face aux policiers ? Non, ce n’est pas une voiture de police m’informe Pierre. Les gens passent leur chemin. Nous sommes complètement paranos.

À l’intérieur, ça ne s’inquiète pas le moindre du monde. Ça rigole, ça joue, ça se chamaille. L’enfance joyeuse. Nous les regardons jouer à ce nouveau jeu de société fait de petits bouts de papier. Et nous sommes impressionnés. Capucine invente des jeux, et en plus ça marche. Il y a une quête, des règles, un gagnant, des perdants et même du fun. Dans l’un il faut collectionner des billes en réalisant des défis. Dans l’autre il faut amasser une collection de coquillages, en ramassant également les déchets s’il vous plaît. Dans le troisième, il faut gagner des sous pour équiper entièrement sa maison. À vrai dire, Capucine n’a jamais été capable de respecter les règles d’un jeu de société. Non, elle en est capable, mais ça ne l’amuse pas. Ce qu’elle aime depuis toujours, c’est détourner les règles, inventer les siennes, utiliser les pièces d’un jeu pour jouer à tout autre chose.

Mais là, inventer ses règles en partant de zéro, elle ne nous l’avait jamais faite. Nous passons un moment à jouer ensemble en se marrant.

Au repas ce soir, de la carpe fumée, spécialité locale. Et un moelleux au chocolat fait avec de la poudre d’amande à la place de la farine, puisqu’il n’y en avait plus en rayon. Faut pas se laisser abattre !

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