Welcome to Tirana

Dimanche 2 février 2020. J217. Aujourd’hui, c’est décidé, ce sera une journée lessive. En réalité, nous n’avons pas le choix. Une semaine que nous cherchons une laverie et que chacune a pris l’habitude de laver sa culotte tous les soirs. En Albanie, il n’y en a qu’à Tirana, la capitale. Il fait un temps splendide aujourd’hui, tant pis, la corvée est devenue une urgence.

Corvées

Arrêt obligatoire d’abord à une aire de service, la seule gratuite complète et en fonctionnement de tout le pays. Nous sommes sur une aire d’autoroute, au milieu des camions. Nous vidons les eaux sales, chargeons les propres, prenons tous une douche, rechargeons le réservoir d’eau. Et bricolons aussi, encore un tuyau qui fuit. La pause est longue, mais au soleil. Les filles nous installent le pique-nique sur un joli gazon, entre les camions.. C’est cocasse, presque agréable.

Corvée numéro deux. Cette laverie semble neuve et bien entretenue. Mais… mais les sèches-linge sèchent très lentement. Nous avons fait quatre machines de 10 kg, et il faut ensuite faire 8 séchages de 40 minutes chacun… l’enfer. Surtout qu’il y a du monde qui lave son linge en ce dimanche après-midi et que je ne peux pas utiliser les deux sèches-linge en même temps. Lison fait toute la corvée avec moi, sans se décourager. Pierre garde l’Emile-Pat, une rue plus loin. C’est que le quartier est cradouille, mais étudiant et sympathique. Dans les boutiques d’à côté, on me fournit gentiment en pièces de 100 lek. Je discute avec quelques étudiants qui parlent très bien anglais et un peu français. Ils sont contents de pouvoir exercer leur français.

Nous sommes arrivés à 14 heures à la laverie, nous en ressortons à 19h30… Merveilleuse après-midi. Nous déposons notre poussette, à côté d’une poubelle. Elle se fait vielle, le hamac ne tient plus la position assise, elle nous encombre et surtout, nous ne nous en servons plus. Ici, comme dans le sud de l’Italie, nous avons vu beaucoup de poussettes servir de véhicule de livraison. Toute l’après midi, quelqu’un fouillait cette poubelle en triant méticuleusement son contenu. Nous espérons que notre poussette aura ici une seconde vie, et qu’on continuera à l’utiliser jusqu’à la couenne. Capucine et Lison sont tellement triste, elles en pleureraient presque. “Mon cœur a envie de pleurer, mais mon cerveau ne veut pas, c’est bien de donner notre poussette à un pauvre” m’explique Lison. Solène, elle, s’en fiche. Ne plus avoir de poussette, c’est signe qu’elle est grande.

Pierre nous a préparé une soupe à l’oignon délicieuse. Nous quittons notre quartier étudiant pour rejoindre un parking surveillé en centre ville où nous pourrons dormir. L’endroit semble déglingué comme partout, mais il est effectivement surveillé. 500 lek les 24h, 4,10 €. Nous y dormirons très bien, la ville est particulièrement silencieuse la nuit.

Lundi 3 février 2020. J218. Finie la corvée, allons visiter la ville ! Nous sommes tous enthousiastes. Cette ville ne nous évoque pas grand chose mais j’y avais repéré depuis longtemps un chouette musée à faire, le bunk’art. Encore une histoire de bunkers. Pas d’école ce matin, nous voulons partir tôt. Nous ne partons pas tôt, je ne sais pas comment cela a été possible, mais nous ne mettons le nez dehors qu’à dix heures… Et Capucine se met en colère, elle ne veut pas prendre de pull, elle “n’a pas de pull” (alors qu’on a tout lavé hier) et celui qu’elle finit par mettre “est ridicule”, “je ressemble à une patate !” (avec son pull sous son manteau). L’adolescence arrive, je vous dis… Donc nous partons bien avec un pull, mais nous avons gagné un grognon qui mettra du temps à se calmer. Flûte, nous qui voulions profiter.

La pyramide de Tirana

Nous traversons un grand boulevard et arrivons dans un quartier de restaurants. La ville est organisée comme ça, quelques grands boulevards la quadrille, entre, il y a de petits quartiers sans trop de voitures et pleins de commerces. Nous arrivons vite à la pyramide de Tirana, cette fameuse ruine. Il y a quelques temps, on pouvait encore y monter dessus, c’était très dangereux mais beaucoup de monde le faisait. Aujourd’hui, des barrières nous empêchent d’y accéder. Cette pyramide ? C’était le musée d’Ervan Hoxha, le dictateur communiste qui avait fait construire les 170 000 bunkers dans tout le pays. C’est sa fille, qui lui a fait construire ce musée de son vivant. En forme de pyramide, rien que ça. Paranoïaque et mégalo. Depuis la chute du régime, la collection a été rendue à sa fille et l’endroit a été transformé en discothèque. Nous poursuivons notre chemin. Plus loin, un bâtiment recouvert de toiles de jute. Étrange ? C’est le musée d’art contemporain. Normal. Et puis nous le trouvons, ce bunk’art. Il s’agit de l’ancien bunker du ministère des affaires intérieures, reconverti en musée de la police. À première vue, le sujet ne paraît pas très attirant, mais si vous voulez vacciner vos enfants contre la dictature, c’est un très bon endroit.

Bunk’art numéro 2

C’est par un dôme de bunker PZ que l’on rentre et que l’on descend dans un long couloir. Sous terre. Sous une épaisse couche de béton anti-nucléaire. Le couloir est composé d’une multitude de petites pièces qui forment les salles du musée. À l’origine, c’était le commandement général du ministère de l’intérieur, avec salles de travail, bureau du ministre, salles de décontamination, gardes à vue,… Il nous faut traduire les explications de l’anglais, et l’on nous raconte l’histoire de la création des polices albanaises depuis 1912. Pas passionnant, au début. Petit à petit, nous arrivons à l’après première guerre mondiale, où l’Italie fasciste s’octroie l’Albanie et la place sous protectorat. Images de propagande d’Etat à la télévision, ils sont beaux, ils sont forts les soldats italiens qui s’installent sur le sol albanais pour défendre le peuple. Le parti communiste du pays s’organise et se révolte contre l’occupant. L’Albanie est libérée en 1944 et s’installe alors le gouvernement communiste dont Enver Hoxha, l’homme aux 170 000 bunkers, sera le chef. 1944-1985, jusqu’à sa mort, puis jusqu’en 1991, chute des régimes communistes en Europe, l’Albanie sera l’une des dictatures les plus fermées du monde.

Espionnage

Après la propagande des fascistes italiens, voilà celle du gouvernement communiste albanais. Photos truquées, au ciseau, il n’y avait pas photoshop à l’époque. Émissions de télévision à la gloire du régime. Police de l’information. Micros planqués dans les murs. Caméras insérées dans les boutonnières. Écoutes des conversations téléphoniques, notamment dans les chambres d’hôtel. Salles d’aveux, où les supposés ennemis étaient torturés jusqu’à qu’ils avouent une quelconque implication dans un “crime contre l’Etat”. Traque des albanais qui tentaient de quitter le pays. Témoignages poignants d’albanais ayant survécus aux camps de travail et d’extermination du pays.


« La République populaire d’Albanie est fermée aux ennemis, aux espions, aux touristes hippies et autres vagabonds »

— Enver Hoxha, Dictateur

Ce pays est difficile à visiter aujourd’hui, la pollution, la pauvreté,… Mais finalement, quand on comprend comment vivaient les gens, il y a juste trente ans, l’on peut mesurer le chemin parcouru. Quel musée décoiffant. Les filles n’en ont pas perdu une miette, nous bombardant de questions. “En fait, la paix, la justice, la liberté, c’est des choses qui existent depuis pas longtemps !?…” commente Capucine. Le musée, en plus d’être un musée d’histoire, a été investi par l’art. Dans plusieurs salles, des installations surprenantes, dérangeantes, frappantes. C’est vraiment un incroyable endroit ce musée. Nous trouvons qu’il remplit comme une mission d’apaisement, il pose l’histoire, met au clair les années les plus secrètes du pays, et permet l’émancipation d’un peuple qui rêve de lendemains heureux. Merci l’Albanie.

A table

Encore un restaurant, ce midi, un typique recommandé par quelques bons commentaires sur internet. Un large plat de viandes grillées, deux plats de légumes, un peu de frites et une carafe de vin, 20 €. Oui, 20€ pour cinq personnes. Merci l’Albanie.

Un détour par la cathédrale orthodoxe de la ville, nous nous y rendons alors que les mosquées alentours diffusent l’appel à la prière. La cathédrale est toute neuve. Elle a été inaugurée en 2012. Et nous partons. Pierre veut pouvoir sortir de la ville tant qu’il fait encore jour. Il a raison, quel bazar la circulation par ici. À la sortie de la ville, il y a un énorme rond point sans signalisation routière. Je crois que vous pouvez estimer qu’il est pire que le rond point de l’étoile à Paris. Et puis partout des gens sur la route. Des piétons. Des cyclistes. Des poussettes. Poussettes de livraison. Des vaches, des chèvres ou des moutons. Ou des ânes. Il faut être vigilant à tout.

Nous prenons la direction de la mer. Parc naturel de Divjake. Nous trouvons un parking directement sur la plage. Pierre fait réchauffer la soupe aux oignons. Les enfants au lit, il branche son “bazooka”, une antenne qui amplifie les signaux WiFi, se connecte sur le réseau de l’hôtel d’à côté et continue la sauvegarde de nos photos sur un serveur distant. Astuce.

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