Tinguély et ses machines inutiles

Samedi 2 août 2025. Weil-am-Rhein, Allemagne. 9h, Lison et moi partons précipitamment. Nous n’avons pas vu arriver l’heure du bus qui nous amène à Bâle. Nous laissons le reste de la famille terminer la vaisselle et préparer les vélos. Nous voyageons avec seulement 3 vélos, impossible d’en prendre 5, alors nous alternons. Bâle est à seulement 3 kilomètres, RDV sur Claraplatz, sans téléphone ni GPS, il faudra se retrouver à l’ancienne !

Bâle et son Eurodistrict à trois frontières

Bâle est la troisième ville la plus peuplée de Suisse, après Zurich et Genève. Elle s’étend sur les deux rives du Rhin qui y forme un coude. Le Rhin quitte à cet endroit les paysages de moyenne montagne Suisse pour le fossé rhénan, la plaine qui s’étend vers le nord entre les massifs des Vosges et de la Forêt-Noire. L’agglomération bâloise est « tri-nationale », elle s’étend sur plusieurs cantons suisses, et englobe également les villes de Saint-Louis et Huningue, en Alsace, et de Weil am Rhein et Lörrach en Allemagne.

L’aire urbaine est appelée Eurodistrict, ce qui nous permet donc de prendre ce bus de ville pour passer la frontière tranquillou. Nous traversons les quartiers industriels du nord, Bâle possède le seul port de Suisse qui permet d’accéder à la mer, le Rhin étant naviguable uniquement jusqu’ici. Claraplatz est une place toute grise, bordée d’une discrète église. Pas particulièrement charmante, mais remarquablement calme. Pas de voiture dans le centre ville de Bâle, uniquement des vélos et des transports en commun. Que c’est agréable. Nous prenons le temps de faire le tour de la place, un petit marché bien tentant. Je n’ai pas de francs suisses, ni même de monnaie en euros. Et le reste de la troupe arrive tranquillement. C’était facile, il y avait des pistes cyclables partout ! Mais ce n’était pas beau !

Le centre de Bâle

Un petit tour dans le centre ville avant d’atteindre le musée Tinguely. La traversée du Rhin est très jolie, des bâtiments plus anciens et plus élégants s’alignent sur le front de fleuve. La Cathédrale. Quelques bateaux touristiques ou de loisir. Très vite nous atteignons l’hôtel de ville d’un rouge brique vif, plein de drapeaux. Un autre irrésistible petit marché devant. Je n’ai toujours pas de monnaie et je le regrette vivement.

La fontaine Tinguély, à Bâle

Une rue commerçante banale et nous arrivons à la fontaine Tinguely, un bassin agrémenté de machines folles qui balancent de l’eau sans raison valable. On a l’impression de se faire attaquer. C’est très amusant à observer. L’une envoi un jet d’eau en formant des boucles, l’autre tournicote en l’air. Une autre a deux jets qui sortent des yeux. Une rame inlassablement et une autre plonge dans l’eau et relève sans fin sa passoire.

Proche de la fontaine, nous retrouvons une sculpture de Richard Serra, comme à Bilbao !

Sur les bords du Rhin

Pour rejoindre le musée, la marche est un peu longue. Nous longeons le Rhin par une promenade le long de jolis quartiers résidentiels. Plusieurs cabanes de pêcheurs au filet. Le courant semble fort, l’eau est vert-gris. Un bateau propose la traversée en étant tiré par un câble d’un côté à l’autre de la rive. Un autre essaie remonter le courant mais n’y arrive pas facilement, il faut jouer avec les remous des piles d’un pont et les passer de travers.

L’ado ayant déjà annoncé qu’elle avait faim, nous pique-niquons là, il est à peine 11h30. Se remplir le ventre avant un musée est toujours une bonne idée.

Le musée Tinguély, à Bâle

Dans le musée, nous sommes immédiatement accueillis par la Méta-Matic No. 6, une machine-dessinatrice qui fait elle-même des œuvres d’art. Le visiteur glisse une pièce, installe un feutre dans une pince, et une feuille dans l’autre, appuie sur un bouton et l’engin se met à bouger dans tous les sens, dessinant des gribouillis aléatoires. Stop, changement de couleur, et re-gribouillis. « Le hasard a du génie » considérait Jean Tinguely.

Inventeur de machines bruyantes et poétiques, l’artiste suisse cherchait à réinventer notre rapport à l’art et à la société de consommation. Son œuvre repose sur le mouvement, le hasard, les sonorités… Réalisées à partir de rebuts de la société de consommation, ses sculptures déroutent, interpellent avec humour et ironie. Ces « anti-machines » ne produisent rien, elles mettent en défaut les techniques industrielles pour les tourner en dérision. Une critique cinglante de la soumission de l’Homme à la machine. 

Le musée explique de suite les règles du jeu : chaque machine est activable en appuyant sur un bouton avec le pied, mais quand celui-ci possède des loupiottes vertes. Autrement dit, il faut les laisser se reposer. Et patienter un long moment pour cela. Au début, c’est long, très long, désespérément long… Et on saute sur le premier bouton vert ! Pour une petite minute de mouvement. Waouh, ça tourne ! Et comme toutes les machines fonctionnent comme ça, nous prenons le pli. Nous pouvons passer du temps à les regarder, à comprendre les mécanismes, à imaginer les mouvements avant qu’ils ne démarrent. Puis le mouvement commence et la machine devient vivante, extraordinaire. Cette attente a tout de bénéfique. Elle nous oblige à regarder les œuvres, elle rend leur mouvement exceptionnel et le visiteur est ébahi.

Dans la salle d’à côté, les sculptures sont grandes comme des camions. Elles, fonctionnent 3 minutes, toutes les heures. Moteurs, manivelles, roues et ferraille rouillée… Les œuvres grincent, vibrent, semblent se détraquer parfois. Ludiques et colorées, elles cliquettent avec humour. 

Expositions temporaires d’autres artistes

À l’étage, derrière un épais rideau noir, nous distinguons avec effroi des dizaines de corps allongés par terre. Mouvement de recul. Non nous ne sommes pas face à une scène de crimes, mais devant une proposition artistique singulière. Au plafond est projeté un film, au sol sont étalés matelas et coussins. Formidable ! Allongés tous les cinq à côté, nous essayons sincèrement de nous intéresser à l’œuvre : probablement des images sous-marines complètement floues. Impossible de résister, tout le monde plonge dans une sieste bienvenue. 

Quand nous sortons du musée, il pleut, il pleut, il pleut. Nous avons une vingtaine de minutes de marche jusqu’à Claraplatz, toujours en longeant le Rhin, rive nord cette fois. Les cyclistes remontent sur les vélos. J’attends le bus avec Capucine. Lorsqu’il arrive, le contrôleur ne veut pas que j’achète le billet sur l’application. Il m’indique une borne d’achat sur le trottoir d’en face. Je m’exécute mais le bus part sans nous… Et le prochain est dans une heure. Une heure d’attente au Starbucks face à l’arrêt de bus, un café et un chocolat chaud bien mérités, du temps pour écrire. 

Quand nous atteignons enfin la maison, Pierre et les filles dégustent aussi un chocolat chaud réconfortant.

Et nous prenons la route à l’assaut de la forêt noire. Nous avons objectif d’aller jusqu’à la source du Danube. Puisque nous étions à son embouchure en 2020. Un spot en lisière de prairie, devant un joli bout de forêt. Une cueillette de myrtilles et de framboises. Un magnifique coucherde soleil dans les brumes de la forêt. 

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