Au lagon de Kalochori, le rendez-vous des fous

Samedi 7 mars 2020. J240. Thessalonique, Grèce. Nous avions passé 7 jours avec Thomas à faire le tour du Péloponnèse, et puis il était rentré prématurément en France pour des obsèques et revenu en Grèce pour poursuivre son voyage. Depuis plusieurs jours, nous cherchions à faire se recroiser nos chemins. Aujourd’hui, nous avons rendez-vous dans un restaurant à poissons au lagon de Kalochori à l’ouest de Thessalonique.

Thomas 2, le retour

L’endroit était pourtant bien commenté sur Park4night, mais après avoir traversé une affreuse zone industrielle, nous trouvons un lagon presque asséché et pas peu pollué. C’est ici que nous avons prévu de manger du poisson ? Est-ce raisonnable ?… Nous retrouvons Thomas tout sourire et débarquons tous les six dans la gargotte sur pilotis. La salle de restauration est fermée par des bâches plastique qui captent toute la chaleur du soleil. Quelques tables sont déjà occupées mais il y a de la place. Le patron nous accueille d’un œil et nous fait signe de nous installer. Mais seules des tables de quatre sont dressées. Nous sommes six. Rapprochons deux tables. Aïe, qu’est-ce que nous n’avons pas fait ! Le patron nous montre sèchement sa désapprobation, remet la table à sa place et nous installe plus loin, à un endroit qui lui convient mieux.

Ça commence mal ce resto… Nous ne bronchons pas et nous installons sagement. Nous commandons quelques plats à partager et quelques poissons en espérant qu’il viennent de loin, très loin… Commande passée, un van à l’immatriculation bretonne passe devant la terrasse et se gare plus loin, à côté de nous. C’est Roule Galette, c’est sûr. Je lui envoie un message en lui proposant de, soyons fou, nous rejoindre à table. Elle arrive. Il n’y a plus qu’à expliquer au patron que l’on est finalement pas six mais neuf et qu’il va devoir déplacer ses tables une seconde fois… Courage. En voyant toute cette marmaille débarquer, je crois qu’il finit de nous détester vraiment.

Roule galette

Roule Galette est une famille bretonne en partance pour le Kazakhstan en van. Rien que ça. Des fous. Encore. Cédric a du repartir quatre semaines en France pour travailler. Mélanie et leurs deux enfants, Pacôme 6 ans et Carmen 2 ans, naviguent autour de Thessalonique en attendant le retour de Papa. C’est un aléa de leur voyage un peu difficile qu’ils sont en train de vivre. Mélanie est ravie de passer un peu de temps avec une famille française, ses enfants ont besoin de jouer avec d’autres. Rencontre.

Le nouvelle configuration d’équipage s’entend bien. Chacun partage l’actualité de son voyage et ses dernières découvertes. La salade grecque est bonne, l’aubergine grillée aussi. Je découvre le poulpe, spécialité de grecque appréciée de Thomas. Et les poissons… sont presque inexistants. Le patron n’a pas compris notre commande et l’on ne nous a servi qu’une seule assiette de “flat fish” au lieu des trois différents poissons demandés. Ce n’est pas grave, hein, nous n’allons pas risquer de contrarier encore ce monsieur pour quelques poissons du lagon d’à côté. D’ailleurs, nous prendrons dessert et café aux camions, nous cuisons derrière cette bâche qui nous sert de vitre. Autour de nous, la salle s’est remplie de clients en pulls. Ils sont fous ces grecs, ils ont froid.

Trois camions, un lagon. Le café est bon. D’où nous sommes, nous ne voyons pas trop les déchets, toujours jetés en contre-bas. Derrière le lagon de boue, une banlieue d’immeubles bas et pas terminés. Charmant. Allons-nous vraiment dormir ici ? Vous êtes fous ! Je meurs d’envie de déguerpir jusqu’au prochain spot, un beau lac à pélicans à juste une heure de route vers le nord…

Je suis là seule à rêver, les enfants ont installé une ferme dans la poussière et jouent ensemble passionnément. Nous resterons ici pour la nuit, mais juste un peu plus loin du restaurant car en ce samedi soir, nous craignons les va-et-vient. En attendant, allons profiter de cet espace “naturel” qui ma foi est très fréquenté par les habitants du coin. Un peu plus loin, une promenade aménagée traverse la lagune. Les filles embarquent sur les épaules de ce pauvre Thomas, les unes après les autres. Quelques flamants roses pas roses. Quelques canards et des nuages de mouettes. Un chien, qui ressembe à un renard, vient chercher des câlins et des gratouilles. Il n’a pas croqué nos amis Roule galette. Les enfants s’en donnent à cœur joie. Le chien nous guide tout foufou à travers la lagune, nous le suivons, il a l’air habitué. Et le voilà qui traverse par un petit pont de pneus un ruisseau recouvert de mousse plastique verdâtre. Beurk en cœur. Puis il s’aventure dans la gadoue, dans l’eau stagnante, dans les algues qui sentent la moule pourri, et termine en se roulant dans une bouse de vache… Nous lui avions tous fait des papouilles…

Notre spot de ce soir sera tout aussi mémorable. Une parcelle enherbée, propre à l’endroit que nous avons trouvé, avec vue sur les containers du port et les citernes de pétrole. Dans notre folie nous nous en satisfaisons, le paysage est presque beau. Les enfants continuent de jouer passionnément. Les parents continuent de parler inlassablement.

Mais ce soir, Thomas ne reste pas au campement. En ce moment, il dort chez un ami grec qu’il doit maintenant rejoindre pour la deuxième partie de soirée. Adieux. Embrassades. Cette fois, nos routes se séparent vraiment. Il met cap à l’est. Destination le Sri-Lanka. Rien que ça. Il y sera dans un an ou deux. Il avancera tant qu’il aura des sous et s’arrêtera pour travailler quand il n’en aura plus.

Thomas n’est pas vraiment un de ces vagabonds. En France, il a laissé un bon poste “d’ingénieur roulettes” dans une de ces grosses boîtes de matériel de manutention. Besoin de respirer. Besoin de liberté. Besoin de vivre, de voyager, de rencontrer, il a tout quitté. Sa maison c’est son camion. Un fou. Un déraisonnable à qui la raison a dicté de partir.


« Ô Dieu, envoie-nous des fous, qui s’engagent à fond, qui oublient, qui aiment autrement qu’en paroles, qui se donnent pour de vrai et jusqu’au bout. Il nous faut des fous, des déraisonnables, des passionnés, capables de sauter dans l’insécurité : l’inconnu toujours plus béant de la pauvreté. Il nous faut des fous du présent, épris de vie simple, amants de la paix, purs de compromission, décidés à ne jamais trahir, méprisant leur propre vie, capables d’accepter n’importe quelle tâche, de partir n’importe où, libre et obéissants, spontanés et tenaces, doux et forts. Ô Dieu, envoie-nous des fous ! »

— Père Louis-Joseph Lebret

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