Nazdravé Bulgarie !

Prélude. Au moment où nous publions cet article, le coronavirus atteint notre Carapate. Non pas que nous l’ayons attrapé, mais que les frontières se ferment. Pour combien de temps ? Le « tour d’Europe des Carayol en caravane » risque de se transformer en un tour de Bulgarie… Musées fermés, ok, on va rester dans les espaces naturels. Commerces non-alimentaires fermés, pas de soucis, on n’a pas la place d’acheter quoi que ce soit. Et pour l’alimentaire c’est « dix par dix ». Nous, pour l’instant, nous avons les cales pleines. Nous avons une pensée particulière pour toutes ces familles françaises qui vont se retrouver à devoir rester chez elles et faire l’école à la maison. Ça nous fait un peu rire, mais vous inquiétez pas, c’est chouette de vivre en famille et d’instruire ses enfants !

Pour l’instant, la frontière roumaine semble encore ouverte. Nous pourrions tenter de la passer demain si nous voulions. Nous y avons pensé. Bulgarie ? Ou Roumanie ? Où est-il mieux de rester potentiellement coincés ? La situation sanitaire des deux pays est semblable. La décision prise est de prolonger notre séjour en Bulgarie en rejoignant l’équipage aveyronnais, les Vert Vanlife, et de les suivre jusqu’à la mer noire. En restant en Bulgarie, d’abord nous serons avec des amis, argument important à nos yeux, et  nous serons plus au sud donc avec une météo un peu plus clémente. Pour la suite, Inch Allah !

Une réflexion tout de même. Fermeture de frontières, de magasins, des lieux de culture, interdiction des rassemblements, télétravail, instruction à la maison,… Alors si on est capable de faire prendre des mesures drastiques comme ça, on peut le faire aussi pour le climat ? la biodiversité ? la planète 🌏 C’est quand qu’on arrête le plastique à usage unique déjà ?…

Dimanche 8 mars 2020. J241. Alentours de Thessalonique, Grèce. « Nazdravé », ce doit être le seul mot bulgare que connaît Pierre. Cela signifie « À la tienne ! » Des amis scouts avaient fait un camp de solidarité internationale en Bulgarie, et avaient ramené cette expression dans leurs bagages. Nous ne pensions pas que nous serions amenés à l’utiliser dès notre premier jour en Bulgarie…

Roule bien, galette

Pas école ce matin. Les enfants ont quartier libre pour profiter de Carmen et Pacôme, les enfants de l’équipage de Roule Galette. Je sais qu’il va pleuvoir pendant deux jours à partir d’aujourd’hui 11h, alors tout le monde dehors ! Aujourd’hui, la Carapate passe en Bulgarie et Roule Galette reste à Thessalonique pour quelques jours encore avant de retrouver Papa et de mettre le cap à l’est toute, direction Kazakhstan. Moi ça m’épate toujours… Pacôme et Carmen sont plus petits que Lison et Solène, mais dégourdis. Ils se sont très bien entendus ces deux petits jours. Ce matin, c’est foot et cerf-volant pour Lison et Pacôme qui nous oublient complètement. Un dernier café. Quelques derniers échanges. Encore un au revoir. Nous le regrettons bien, nous l’aimions bien cet équipage, nous aurions bien roulé notre galette avec eux quelques jours. Rencontre éphémère. Mais nous avons échangé deux livres, il faudra bien se revoir à Rodez ou à Lorient pour se les rendre et se raconter nos aventures.

Lac de Kerkini

Nous prenons la route avec les premières gouttes. Le lac de Kerkini n’est pas bien loin de la frontière et nous y sommes vite. Garés sous la pluie, dans une grande pâture qui longe le bord du lac et à côté d’une cabane où des pêcheurs  partagent un repas dominical ensemble. L’endroit inquiète Pierre, un peu boueux. Mais la vue est incroyable. Sous la fenêtre de l’Emile-Pat, une large communauté de pélicans est installée ici. L’endroit doit être poissonneux. Ça flotte, ça pêche, ça s’envole lourdement, ça atterri pesamment, ça se chamaille, ça s’endort le long bec blotti sous les ailes. Nous sommes assez proches des animaux pour les observer correctement. Nous nous installons là pour le déjeuner et nous prenons le temps de cuisiner en surveillant d’un œil nos drôles de voisins. Cake aux olives. Gâteau au chocolat-courgettes. Chouette.

Quand il pleut trop, Pierre lève le camp. Et il était temps. Nous avons failli ne pas passer la marche de terre mouillée qui nous ramenait sur la chaussée. Ce soir, nous avons prévu de dormir à proximité d’une source d’eau chaude, les bains de Rupite. Il n’y a plus qu’à passer la frontière…

Passage de la frontière

Les filles sont prévenues, interdit de tousser. Le groupe Facebook des familles autour du monde nous a appris qu’une famille était en ce moment coincée en quatorzaine-coronavirus à je ne sais plus quelle frontière asiatique. Nous nous attendons à ce qu’on nous prenne la température, mais ça devrait être bon, nous ne sommes pas malade. Nous ne sommes pas inquiet mais si un peu quand même, tant qu’on n’est pas passé, on n’est pas passé.

Fort Rupel, frontière grecque. Quatre files d’attente d’une vingtaine de voitures chacune. Il n’y a plus qu’à patienter. C’est long. Douaniers grecs, nous passons. Douaniers bulgares. Le véhicule devant nous vient d’être fouillé, avec hommes et chiens. Un douanier s’adresse à nous et nous fait un sermon en bulgare. « Sorry, we don’t understand bulgarian » l’interrompt Pierre. « Where do you com from ? » demande sèchement l’homme. « France » dit Pierre, et prend soin immédiatement de préciser « We were in Greece 4 weeks ». Comprenez, on ne vient pas de France, mais on ne vient pas d’Italie non plus… L’homme s’illumine littéralement. « Welcome to Bulgaria ! Have a nice day, a nice week, a nice trip ! » nous lance-t-il en tendant son bras gauche vers son pays. Sourire communicatif. Nous avançons en retenant notre soulagement pendant quelques secondes, puis éclatons de joie. Welcome to Bulgaria !

Bains d’eau chaude de Rupite

Nous voilà donc enfin arrivés aux bains de Rupite. La route n’était pas longue en kilomètres, mais nous avons passé quasiment une heure à la frontière. Il pleut toujours. Nous nous stationnons juste à côté d’une zone où fume une multitude de petits bains de boue. Qu’est-ce que c’est que ça ?… Manteau, capuche, je vais explorer ça suivie de près de mes deux gnomes verts. D’un côté des hommes se prélassent dans la boue. De l’autre une femme sort de l’eau, se rhabille et ramasse quelques déchets. Un long canal alimente plusieurs petits bassins où l’eau chaude se déverse à volonté grâce à de petits barrages aménagés avec de vieux tissus. L’ensemble prend des couleurs incroyables, rouge rouille, bleu zinc, marron argile ou orange cadmium. Chaude ? Aïe, oui l’eau est chaude ! Je n’ai pas trouvé de fiche wikipédia sur les bains de Rupite, ni même de site touristique. Quelques recherches m’éclairent sur la portée du lieu.

Les bains de Rupite sont une perle gardée secrètement par les bulgares, un lieu rien qu’à eux. Ici, ils ont installé une pompe qui fait sortir l’eau des profondeurs de la terre à plus de 70°C. Les bains sont réputé pour avoir des propriétés guérisseuses. Ici, la star est Baba Vanga, une voyante-guérisseuse enterrée maintenant dans le petit sanctuaire devant lequel nous étions passés en arrivant.

La Pythie bulgare

Baba Vanga est devenue aveugle à l’âge de 12 ans à la suite d’une tempête qui lui aurait « rempli les yeux de sable ». Elle est devenue une « icône » dans les pays de l’ex-bloc communiste pour avoir entre autres « prédit » l’élection d’un président afro-américain. Elle aurait donné la date de décès de Staline, annoncé le démantèlement de l’URSS, les attentats du 11 septembre 2001 et la « présence extraterrestres parmi les êtres humains ». Le fait qu’elle ait réellement fait ces prédictions est contesté. Oracle et guérisseuse, elle a connu une célébrité qui s’étendait dans tous les pays du bloc communiste, en Russie en particulier. Un véritable culte dont l’écho a été longtemps assourdi par le rideau de fer. Au cours des années 60 et 70, sa notoriété atteint son apogée. De hauts dirigeants viennent la consulter. Plus étonnant encore, ces visites de l’élite du parti communiste auprès d’une voyante qui communique avec les morts s’effectuent dans une semi-transparence en dépit de l’athéisme officiel. Car les autorités, au lieu de condamner Baba Vanga à la clandestinité, ont préféré encadrer sa pratique en la ramenant dans le champ de la science –ou de la pseudo science- pour mieux la contrôler. Le pouvoir a affilié Baba Vanga à un institut de « suggestologie » créé spécialement pour elle en 1967 et rattaché à l’Académie bulgare des sciences. Elle doit désormais consulter dans une résidence aménagée par les autorités et baptisée « lieu d’inspiration », ici, à Rupite. Les dons surnaturels de Baba Vanga lui attirent une clientèle richissime venue du monde entier, d’Europe de l’ouest et d’outre-Atlantique. La voyante est salariée par le gouvernement en tant que « chargée de recherche » et devient ainsi la prophétesse officielle du régime communiste en Bulgarie. Georgi Lozanov, médecin, pionnier de la parapsychologie en Bulgarie, est convaincu que la clairvoyante est télépathe et puise ses informations dans l’esprit de ses consultants. Pour autant, il peine à expliquer sa capacité à prédire des évènements à venir, prédictions recueillies dans les comptes-rendus des séances qui représentent des dizaines de milliers de pages. « Les gens portent-ils en eux des traces de leur destin ? L’histoire de l’avenir s’inscrit-elle sur un autre plan? » s’interroge-t-il.

Au bain

De retour, je croise Pierre sortant du camping-car en claquettes et maillot de bain, sous la pluie et bière à la main. « J’ai bien observé, je fais comme tout le monde ici » me dit-il pour répondre à mes yeux interrogatifs. Et le voilà qu’il rentre doucement dans le grand bain de boue. « Pas par là », lui fait signe un homme. Effectivement, l’eau qui arrive est très chaude. Pierre s’avance en cherchant l’endroit qui aura la bonne température et s’assied. « Nazdravé ! » lance l’homme en levant sa bière. « Nazdravé » répond Pierre en levant sa bière grecque aux cinq hommes qui se prélassent ici. « C’est un endroit génial, ici. D’où tu viens ? » demande le bulgare dans un anglais approximatif. Et quand Pierre dit qu’il est français, l’homme fait de gros yeux : « coronavirus ? » lance-t-il peut-être blagueur, peut-être inquiet. Pierre prend soin d’expliquer que nous venons de Grèce et que nous avons passé la frontière sans problème.

Nous accompagnons le jour qui s’en va en se prélassant là, l’eau est très chaude. Capucine et Lison rejoignent Pierre. Une grenouille derrière nous commence à chanter. La pluie recommence à tomber pour ne plus nous quitter, jusqu’à demain.

Les bains naturels d’eau chaude ailleurs en Europe

Sur le célèbre site de la bataille entre grecs et perses, à Thermopyles se trouvent des eaux chaudes thermales naturelles surgissant de la montagne. En Italie, les thermes de plein air de Saturnia sont connus depuis la Rome antique. A Bormio il nous a fallu dénicher le secret bien gardé de  l’emplacement du jaillissement de la source. A Alhama de Granada en Espagne il a aussi fallu enquêter pour trouver le bain chaud. Un des meilleurs spots de baignade en eau chaude naturelle restera pour nous les thermes naturels de Bënjë en Albanie, avec son pont ottoman et la vue sur les montagnes enneigées.

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2 réponses à “Nazdravé Bulgarie !”

  1. Avatar de VERNHES
    VERNHES

    Bonjour,
    Juste un mot pour vous souhaiter beaucoup de courage et de patience durant cette période compliquée en espérant que vous parviendrez à vous préserver.
    Amicalement, Jean-Marie

    1. Avatar de Pierre
      Pierre

      Merci Jean-Marie !

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