Cale sèche à Snagov

Mercredi 25 mars 2020. J257. Roumanie. 7h30, comme tous les matins maintenant, j’allume le téléphone et je prends des nouvelles du monde. L’ambassade a communiqué, à 7h, les annonces faites le matin même par le gouvernement roumain. Durcissement des déplacements, justificatif obligatoire. Comme en France en soit. La mesure prend effet à 12h. Adieu les volcans de boue, nous n’avons plus le droit de nous promener, l’heure est venue de s’arrêter. Démarrage rapide, nous devons être chez Gaël et sa petite famille à Snagov avant midi.

Je crois que Pierre ne s’est jamais levé aussi vite que ce matin-là. Et Lison avec. Tous les deux rassurés et contents de stabiliser notre situation quelque part. Pour moi, le sentiment n’est pas le même. Je partage cette décision, mais le cœur est gros. Très vite, nous prenons la route. L’école, nous la ferons plus tard. Nos dernières deux heures de route. Nos derniers paysages. Pour une fois, je n’en manque pas une miette. Car d’habitude, les trajets en voiture sont l’occasion de faire tout un tas de choses, secrétariat, couture,… Non, ce matin je le déguste ce paysage plat, ces charrettes qu’il faut doubler, et ses maisons toutes vieilles et coquettes. Je l’aimais bien cette Roumanie. J’ai l’impression que le voyage est fini.

Snagov

Nous arrivons chez Gaël, dans un joli quartier résidentiel. Il est souriant, et en même temps un peu inquiet. Accueillir des français en ces temps ne doit pas être simple, c’est un beau geste d’humanité qu’il fait là. Lui, mais aussi son amie Laura qui vient nous saluer. Nous échangeons deux mots sur la situation. Nous nous tenons strictement à distance pour nous parler. C’est une retenue qui s’impose mais qui est très désagréable. D’un commun accord nous décidons de prévenir les autorités de notre installation ici. Eux, se chargent des autorités locales, moi j’informe l’ambassade. Et Gaël guide Pierre pour faire entrer l’Emile-Pat chez eux, en marche arrière, dans leur cour.

Voilà, après huit mois de voyage, de rencontres, de paysages et de liberté, nous nous trouvons garés entre quatre murs, et à bonne distance de nos hôtes. Si ça ne devait durer qu’une semaine, ça pourrait aller… Le changement est rude.

Enfin, rude… pour moi. Gaël installe Pierre. Là, nous pourrons nous recharger en eau. Ici, il branche l’Emile-Pat au 220 volt. Par là, nous pourrons vider nos WC. Et tiens, Gaël nous prête un chauffage d’appoint pour ne pas que l’on ait à utiliser notre gaz pour nous chauffer. Pierre est aux anges. Fini les corvées de ravitaillement et de déchargement.

Pendant ce temps, peut-être pour tromper mon angoisse, je me plonge dans la préparation du repas de midi. Et je remets Solène à la patouille puisque c’est sa passion du moment. Elle coupe seule champignons, fromage et jambon, travail de motricité fine, puis plonge ses mains dans l’appareil à cake. Avec moitié farine de blé, moitié farine de maïs. C’est qu’on ne l’a pas encore fini ce paquet de farine de maïs… Et zou, on verse tout dans notre four. Hé bien, aujourd’hui, c’est une véritable réussite ! Moelleux à l’intérieur et croustillant à l’extérieur. Un coup de bol.

Cette première après-midi confinée ressemble quand même à un gros coup de blues. Pierre, heureux comme tout, me propose de sortir un peu : “Y’a de la place dehors, va prendre l’air !”. Quand je regarde la place que l’on a, je fonds en larmes. Oui, il y a de la place, presque deux mètres entre nous et le mur. Où sont passés nos paysages infinis ? Je sors, mais c’est pour être seule. Seule sous ce soleil froid. J’ai envie d’aller faire un tour dans le quartier, mais nous n’avons pas le droit sans attestation et nous n’en avons pas encore. J’ai tellement envie de partir qu’à ce moment là, je serai même prête à me mettre au jogging. C’est pour dire l’ampleur de mon désespoir.

Lison me rejoint, elle veut jouer au tennis avec moi. Elle a raison, bougeons nous un peu. Ils ont le fort, nos enfants, pour être joyeux en toutes circonstances. Nous devrions prendre sans cesse exemple sur eux. Ses rires me font frissonner d’admiration. Et puis Gaël revient à notre rencontre. “Allez jouer au trampoline !”. De l’autre côté de la maison, ils ont un grand jardin joliment aménagé. Et au fond, un trésor, un trampoline. Mes trois ouistitis ne se font pas prier. Et c’est parti pour une heure de bonds et de rires. Infatigables.

Un bon repas. C’est important. Nous échangeons nos projets pour ce temps d’arrêt. Pierre en a plein. Inventer des boucles d’oreilles “pizza”, apprendre par cœur la dernière manipulation qui lui manque pour terminer son Rubik’s cube 4x4x4, puis apprendre à jongler avec. Réparer son vélo, mais pas trop vite. Lire tous les livres qu’il n’a pas encore eu le temps de lire. Et dormir. Faire la sieste, la grasse-mat’,… Mon homme revit.

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4 réponses à “Cale sèche à Snagov”

  1. Avatar de Laurence
    Laurence

    Triste de lire ça. J’espère que tout ça, ne sera pas trop long…j’imagine que c’est un crève coeur de vous arrêter comme ça. On vous souhaite quand même, un bon confinement. On vous embrasse tous les 5 !!
    P.s : on vous soutient à fond pour les boucles d’oreilles « pizza » 😉

    1. Avatar de Pierre
      Pierre

      Merci Laurence !

      Nous pensons à vous, à Lulu.
      Si nous sommes encore bloqués là un moment, nous prendrons des cigognes du delta du Danube pour vous rejoindre et finir la cave à vin du beau-papa.
      Confiné oui, mais aviné non… quoique…

      Bisous à vous tous.

  2. Avatar de Creusoise
    Creusoise

    Deux réactions au confinement à l’opposé l’une de l’autre ! PIerre en avait peut être assez de vadrouiller et devait avoir besoin de se poser; pas vous !
    Il est certain que le manque de liberté, de nature, d’activités diverses va peser…
    Malheureusement le confinement là comme ailleurs semblait inévitable … Ou alors il faudrait rentrer en France mais est- ce encore possible au niveau des frontières ?
    Heureusement qu’il y a un jardin pour les filles et toutes les commodités .
    Ici on est partis pour un confinement de 15 j + déjà annoncé 15j + 15 j non annoncés officiellement mais dont on ne pourra pas se passer … C’est un minimum pour que ce soit efficace … Et après ? Comment sortira-t-on du confinement ?
    Bon courage !
    Une occupation pour les deux aînées : se mettre aux langues vivantes avec DUOLINGO c’est gratuit ; à partir du français on peut apprendre anglais allemand espagnol italien et portugais. Mes petites filles l’utilisent.
    Bon courage

    1. Avatar de Pierre
      Pierre

      Merci,

      Pour ma part je n’en avais pas marre de vadrouiller, mais je redoutais les contrôles de police tout le temps (3 contrôles en une semaine + épisode de la frontière).
      Même si nous étions en règle, c’est moralement usant d’être perçu comme suspect par les autorités locales et la population.
      Se poser nous amène la tranquilité de ce côté là.

      Bon confinement 😉

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