Initiation à la vie d’après

Bertha et Feri ont construit ici une vie simple, faite de jardinage, d’artisanat, d’un peu d’élevage et de cueillette. Cette rencontre, au moment où le monde essaie de sortir de la pandémie et rêve à un monde d’après meilleur, nous donne l’impression de pouvoir expérimenter une nouvelle approche et s’en inspirer.

Mercredi 20 mai. Premier jour à Firtos, la pluie ne saurait atteindre notre enthousiasme. Le camping-car peut s’enfoncer dans la terre, nous sommes heureux d’être ici et nous n’avons pas l’intention de partir d’aussi tôt. Après l’école, en début d’après-midi, les enfants viennent nous chercher pour nous faire visiter leur montagne. Nous enfilons des bottes et filons avec eux. Nous parlons anglais ensemble, les plus grandes comprennent, les plus petites apprennent. Ici un “butterfly”, là une “grasshopper”, “here is a cricket”. Chila, la grande de 11 ans, nous entraîne jusqu’au point de vue sur la vallée et les reliefs qui se dessinent les uns derrière les autres. Notre regard se porte loin, cela fait du bien.

Leçon numéro 1 : manger des feuilles

Puis, sous un hêtre, les enfants se mettent à cueillir les jeune feuilles et à les manger. Comme un troupeau de biches broutant les jeunes pousses des arbres. Ça se mange ? Les enfants semblent se régaler et y reviennent comme l’on remet la main dans un paquet de chips. Les nôtres n’hésitent pas à leur emboîter le pas. Le goût est d’abord doux, puis amer.

La balade sera courte et nous rentrerons avec la pluie pour nous réfugier dans la maison de Bertha et Feri. Les enfants trouvent à jouer sans trop avoir à parler, au mémo, aux dominos, aux figurines. Les parents se rassemblent autour d’un plat de noix à décortiquer, une excellente occasion de parler encore. Dans la maison d’hôtes, Andrea et Flavio se sont installés depuis deux mois et commencent leur nouvelle vie. Ils sont roumains, lui est roumanophone, elle est magyarophone. Ils vivaient en Allemagne, au sud de Munich, et avaient des postes dans les technologies et la vente. Mais le pays ne permet pas aux parents d’éduquer les enfants hors du système scolaire. Les gendarmes ont débarqué chez eux, s’en était trop. Ils ont fui cet état qui prive les parents de la liberté fondamentale qu’est celle du choix pour l’éducation de leurs enfants. Ici, leurs trois mômes de 7, 5 et 2 ans évoluent librement, sans école aucune. Les parents espèrent pouvoir acheter un bout de terre pour s’installer durablement.

Jeudi 21 mai. Après l’école, nous proposons d’aller explorer un autre coin de montagne. Les trois filles de Bertha et Feri nous accompagnent, panier en osier à la main. Après la pluie de la veille, il faut aller voir s’il y a des champignons dans la forêt. Nous traversons l’enclos des chèvres, passons chez Rico le voisin qui vit de la même manière, avec son potager et ses sept chiens, puis traversons la parcelle de prairie où les agriculteurs du village viennent faire pâturer leurs vaches. Sila, la plus petite, se met à boire directement l’eau arrivant dans l’abreuvoir. La source est juste un peu plus haut, c’est elle qui alimente les trois familles plus bas.

Leçon numéro 2 : suivre le chemin des ours

À côté de l’abreuvoir, une grosse patte bien large a laissé une trace dans la boue. “A bear” indique Chila. Nous sommes impressionnés par l’empreinte, grosse, ronde et surmontée de griffes. Point de champignons aujourd’hui sous l’épaisse forêt. Nous gravissons le sous-bois en essayant de suivre le rythme de nos trois mini-guides qui crapahutent comme des cabris. A l’orée, un chemin suit la crête. Ici aussi il y a des traces d’ours, nous en trouverons tout du long, des grosses, des petites, des qui courent… Au bout du chemin de l’ours, un château, ou ce qui en reste. Un mur et une douve. Nous sommes ici sur l’une des forteresse qui défendait les frontières du royaume hongrois au XVème siècle.

Leçon numéro 3 : manger des fleurs

Point de champignon dans nos paniers, certes, mais la nature nous offre d’autres cadeaux. Quelques baies de genévrier à croquer au bord du chemin. Il faut être habitué. Un peu de serpolet, ce thym sauvage, pour cuisiner quelques légumes ce soir. Et quelques primevères pour le thé. Le thé ? Et si nous en faisions une confiture je propose ? Il faut dire que la cueillette sauvage est quelque chose que nous aimons faire depuis longtemps, et j’ai sur moi mon vieux livre qui nous guide. Avec les filles, nous apprenons quelques nouvelles choses, comme les feuilles de hêtre, mais en réalité, nous ne sommes pas complètement novices et nous en connaissons un petit rayon. Au sujet des primevères, mon livre me dit que nous pouvons en faire une confiture. Je n’ai jamais fait, mais je connais la confiture de pissenlit, ça devrait être similaire. Les trois filles de Bertha et Feri ne connaissent pas la confiture de primevères et sont enthousiastes. Les voilà donc toutes à cueillir ça et là pour remplir nos deux paniers.
De retour à la maison, il faut trier les fleurs. Mais avec six petites paires de mains, ça va vite. Les filles de Bertha et Feri sont visiblement habituées à faire ce genre de tâche précises et fastidieuses.

Vendredi 22 mai. La balade d’hier était longue alors aujourd’hui, nous resterons à la ferme. Après l’école, les filles s’en vont jouer on ne sait où, à faire des cabanes, pendant que Pierre et moi traînons à discuter dans la cabane d’Andrea et Flavio. A 15h30, je retrouve mes trois filles à table chez Bertha. “J’ai tout mangé !” me dit fièrement Solène. Au menu, ragoût de lentilles, mamaliga, une purée de farine de maïs, des noix et quelques herbes fraîches, salades, roquette, pissenlit, aneth. Bertha me propose de les rejoindre à table, je ne me fais pas prier. J’aime ces associations nouvelles.

Leçon numéro 4 : filer la laine et la tisser

Une des deux aile de la maison de Bertha est consacrée aux activités manuelles et artistiques. Évidemment, j’adore. Lison a repéré des petits métiers à tisser. Curieuse, elle demande à essayer. C’est alors parti pour un long atelier ensemble. Les grandes installent le matériel mais ici, avant de tisser, il faut filer soi-même la laine. Je découvre totalement cette pratique où l’on doit enrouler la laine sur elle-même à l’aide d’une espèce de longue toupie. Je m’y attache avec plaisir, l’exercice étant un peu fastidieux. Les filles tissent. La petite Sila est remarquable, du haut de ses cinq ans, elle tisse longuement et en chantonnant. Ces enfants sont incroyables.

Leçon numéro 5 : cuisiner les plantes

En fin de journée, il est temps de faire ma confiture de primevères. J’avais fait bouillir les fleurs dans de l’eau la veille et laissé macérer le tout 24h. Je filtre pour enlever les fleurs, quelques cuillères de sucre, quelques pépins de pommes pour la pectine gélifiante et je chauffe le tout jusqu’à ce que ça réduise. Pendant ce temps, j’ai quelques autres idées derrière l’oreille. Il paraît que les inflorescences de plantain, avant floraison, sont délicieuces revenues dans l’huile. Et qu’avec les feuilles et les fleurs de trèfle, l’on peut faire d’excellentes baniques, de genre de pain cuit à la poêle. J’ai un immense champ de fleurs juste à côté de l’Emile-Pat, sûre que je vais y trouver mon bonheur.
Complété de quelques herbes fraîches données par les voisins, le repas de ce soir sera délicieux. Nous confirmons, le plantain a un très agréable goût de champignon croustillant et la banique est à tomber.

Leçon numéro 7 : Réaliser du sirop de sapin

Samedi 23 mai. Bertha nous propose de partir ensemble aujourd’hui pour aller explorer une forêt de sapins où elle espère trouver quelques trésors à collecter. Nous sommes ravis. Il fait enfin très beau aujourd’hui, et après avoir fait l’école dans l’herbe, nous partons en balade.

Derrière la montagne, Bertha et Feri nous amènent jusqu’à cette forêt. “Vous voyez, en haut de ce sapin, la couleur rouge ? Ce sont les fleurs. La semaine dernière, nous avions été très chanceux car nous avons trouvé un sapin tombé à terre sur lequel nous avions pu cueillir ces fleurs. Voyons aujourd’hui si nous serons aussi chanceux. Sinon, ce n’est pas grave, nous cueillerons des bourgeons de sapin. C’est très bon en sirop et plein de vitamines C.” Nous nous enfonçons donc dans cette épaisse forêt. Par terre, une fleur de pin. Mais pas d’arbre à terre. Nous trouvons les bourgeons, d’un vert lumineux, et cueillons en chœur. Vous pouvez le croquer frais, c’est très bon. Effectivement, c’est très goûteux, acidulé, mais il faut être habitué tout de même. Ce sera certainement meilleur en sirop, avec plein de sucre.

Le panier plein, la troupe nous amène près d’un abreuvoir à vaches pour se désaltérer. C’est visiblement la pratique ici. Une longue pause en-cas, nous sortons évidemment nos couleurs. Tous les enfants avaient pris leurs carnet de dessin, alors nous croquons ensemble ce paysage aux mille verts. Jusqu’à ce que nous nous fassions déloger par les vaches revenues boire.

Le retour sera animé par quelques chasses aux grenouilles dans les flaques. Solène, qui avait peur des grenouilles au tout début de notre aventure, se plaît maintenant à essayer de les attraper. Et elle y arrive ! Nous passons de longues minutes à nous arrêter à chaque flaque, marcher avec des enfants n’est pas vraiment marcher… Mais qu’importe, nous profitons du temps présent, des rayons du soleil, de la nature verdoyante.

De retour à la ferme, nous partageons notre récolte et chacun s’en va cuisiner chez soi. Pas les enfants, ils n’ont pas encore fini de jouer ensemble. Faire bouillir les bourgeons, filtrer, ajouter du sucre et laisser réduire doucement. Le sirop est prêt, il est tellement réduit qu’il pourrait faire office de confiture. Mettre en pot, laisser refroidir. Et préparer le pain pour demain matin. Nous aurons de délicieuses tartines.

Rechercher d’autres articles

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *