Les pirates du détroit de Lämmijärv

Jeudi 9 juillet 2020. Rõuge, Estonie. C’est à la boutique d’artisanat local que commence cette nouvelle journée. Nous avons dormi sur le parking de la tour d’observation et de sa petite échoppe. Dès son ouverture ce matin, elle a sorti une quantité incroyable de tapis qu’elle a étendu sur la rambarde de son chalet. Milles couleurs attrayantes, impossible de résister. Nous passons un long moment tous ensemble à les scruter un par un pour déterminer lequel nous plaît le plus. Nous en choisissons un. Séverine et Benjamin en prennent carrément trois. Ça sent la fin de voyage et l’achat de souvenirs… Et on va les ranger où ? Les deux familles ont le même problème. Benjamin trouve une place dans son coffre en enlevant deux cannes qu’il place dans les pieds du siège passager. Le passager est ravi. Et Pierre enfile le notre au pied de notre lit. Derrière le paddle. Il paraît qu’il y a encore de la place dans notre lit…

Puisa

La visite du jour sera la mine de sable de Puisa. Une mine anciennement exploitée pour alimenter des verreries, aujourd’hui devenues l’habitat de plusieurs espèces de chauve-souris protégées. Nous y arrivons pour midi et trouvons pour pique-niquer un coin de pinède baigné d’un chaud soleil. La différence de température avec notre spot du matin est surprenante, seulement 30 minutes de route plus loin. Cette mine a été exploitée entre 1922 et 1966, creusée à l’intérieur d’une réelle montagne de sable et sur plus 20 km de galeries.

Une guide anglophone nous y accompagne. En 2001, les grottes ont été renforcées et rouvertes aux touristes, mais fermées à nouveau en 2006 en raison du risque de glissements de terrain. Nous n’en verrons que les quelques premiers mètres mais l’endroit est drôlement impressionnant. Un château de sable grandeur nature. Au dessus de nous, la surface a été recouverte d’un béton pour consolider la structure. Mais sur un pan, une partie à été laissée intacte pour que les visiteurs puissent constater la fiabilité de la roche. C’est simple, c’est réellement du sable qui colle aux doigts quand on le caresse et que l’on peut creuser à main nues. Le sable est blanc, jaune, orangé, rose, marron et noir parfois. Mais seul le sable blanc, riche en quartz, était utilisé pour la fabrication du verre. Les mineurs devaient donc veiller à l’extraire sans en mélanger les couleurs.

Les chauve-souris, quand à elles, nous ne les verrons pas. Nous sommes un peu déçus. Après la visite de la mine, nous accédons aux alentours où, au milieu de la pinède, une dune géante se dévoile à nos yeux. Petits et grands enfants se déchaussent immédiatement, courent ou roulent dans la descente dans un accès de folie partagée.

Le détroit de Lämmijärv

Pour spot, ce soir, nous aurons encore un endroit incroyable. A vrai dire, nous avons fait spécialement un crochet pour venir ici. Une petite plage, encore, près d’un lac, toujours, avec une tour d’observation, il y en a partout dans ce plat pays. Mais ici, nous sommes face… à la Russie. Carrément en face, à quelques mètres de la frontière qui se trouve au milieu du détroit. Carrément au bord de l’Europe. Encore une sensation de bout du monde. Ou de bout de notre monde, de notre voyage, nous avons atteint la Russie et nous pourrions presque aller y faire quelques brasses. Et pour ne rien gâcher, l’endroit est magnifique. Le soleil estonien de fin du jour éclaire de gros nuages noirs qui se déversent sur la rive d’en face. La lumière est puissante et les contrastes sont saisissants.

Au sol, un petit oiseau revendique l’endroit. Il semble que nous soyons chez lui, il nous le fait savoir en piaillant sans relâche. Il est amusant. Progressivement, un arc en ciel apparaît, un immense arc qui relie littéralement la rive russe à l’estonienne. Nous sommes précisément dans le détroit de Lämmijärv, entre les lacs Pskovskoïe et Pepsis, deux immenses lacs reliés entre eux qui font les deux tiers de la frontière entre l’Estonie et la Russie. Au milieu du détroit, quelques bouées jaunes semblent symboliser la frontière et de l’autre côté, une tour de gué nous surveille.

L’autre gros atout de ce lieu, ce sont cette cabane tordue et ce bateau pirate. Rien de mieux pour passer une soirée tranquille entre adultes. Immédiatement dans leur jeu, les enfants n’en sortiront pas de toute la soirée. Les constructions sont hyper bien faites, avec cabine et cale pour le bateau, table, banc et un toboggan pour la cabane. Tom trouve un poisson mort dans l’eau, il le pend à la proue de son navire. Les pirates ont investi les lieux.

Pendant ce temps, Benjamin nous cuisine quelques pommes de terres nouvelles et de jolies girolles qu’il a achetées sur la route. Séverine nous cueille une salade de laitue sauvage. Je complète avec une fondue d’oignons et un bout de viande. On mange bien quand on est plusieurs à cuisiner. Et puis une autre famille arrive. Des allemands dans un énorme camion bleu. Quand ils en sortent nous avons du mal à compter combien ils sont. Sept. Deux parents et cinq filles. Des voyageurs ? Non, des vacanciers, c’est vrai, les vacances ont commencé. Nous discutons un peu, ils partent en vacances chaque été dans ce camion adapté à la taille de la famille, les parents dorment dans une tente sur le toit. Ils ont déjà bien vadrouillé, en Turquie, en Russie, au Ki…? Mais non, jamais ils ne partiront plus que pendant les vacances, c’est bien suffisant me dit la maman avec complicité.

Et pendant que les enfants jouent, pendant que le ciel prend des tons roses magnifiques à l’heure très avancée où le soleil est enfin couché, on entend un cri. Aïe, Tom a tenté de sauter entre deux bancs et s’est cogné la tête sur le second. Il saigne et même beaucoup. Ses parents interviennent immédiatement pour lui coller une compresse, j’appelle le 112 avec mon anglais misérable. Une ambulance va arriver, j’espère qu’elle a bien noté le lieu imprononçable du village où l’on est et les coordonnées GPS à trente-six chiffres… Dix-sept minutes après, elle est là et l’enfant est pris en charge directement sur place. Trois points. Et un bandage de pirate.

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