Trouver refuge sur les rives du Danube

Mercredi 18 mars 2020. J250. Comana, Roumanie. Nous venons de passer un jour de plus en Carapate, comme si c’était un rab, un bonus, une véritable chance qui ne va pas durer. Toujours plus nous apprenons à profiter de l’instant présent, à saisir ce coucher de soleil comme s’il était le plus beau coucher de soleil de notre vie, à rire ensemble comme si c’était la vibration la plus précieuse.

Oui nous sommes en Roumanie. Oui nous y sommes libres et en toute légalité. Mais nous faisons peur. “Des français chez nous… ils vont nous apporter la peste” pense-t-on en nous voyant. Encore une journée difficile moralement. Mais une journée qui aura bien commencé, et qui finira bien.
Le réveil était particulièrement heureux ce matin. Nous avons dormi apaisés pour la première fois depuis plusieurs jours, et nous prenons le temps de faire notre routine habituelle. Petit déjeuner au soleil, école en pyjama, vaisselle et rangements…

L’école, appel à un ami

Hier, copine Maryline en lisant mes confessions sur les difficultés mathématiques de Capucine, lui propose d’appeler son fils, Étienne, copain de Capucine, comme “joker maths”, pour qu’ils fassent le travail ensemble, en visio. L’idée plaît beaucoup à Capucine, surtout quand je lui dis qu’Etienne aussi a des difficultés comme elle. Elle avait besoin de savoir où elle en était par rapport à ses camarades. Maryline nous envoie maintenant les exercices de la maîtresse. On ferme notre vieux cahier de misère et on retourne à l’école Cambon ! C’est l’avantage de la situation. Capucine, en pyjama dans son lit, cahiers devant elle, appelle donc son copain dès la fin du petit déjeuner. Sauf que… Il est une heure de moins en France, Étienne se réveille à peine. RDV est pris pour un peu plus tard, Capucine enchaîne sur sa dictée, sur-motivée. Étienne rappelle, les voilà tous les deux à faire leurs exercices ensemble, à 2 800 km de distance. Et ça marche ! Vite fait, bien fait, les maths sont pliés ! Lison aussi est très appliquée à ses exercices d’écriture. Et Solène à sa pâte à modeler. Pendant ce temps, je prépare un cake salé pour midi au cas où nous ne trouverions pas de pain à temps. On ne peut qu’aimer ces matins là.

Et puis nous nous reconnectons à la réalité de la Roumanie. Nous sommes dans la plaine du Danube et autour de nous, rien. Aucun point étoile enregistré. Aucun park4night sympa. La plaine, plate et cultivée jusqu’à l’horizon visible. Nous visons un spot, au bord du Danube, bien isolé, mais à deux heures de route. Ne plus traîner.

Avant de rejoindre l’autoroute, nous traversons des villages au charme incroyable. Autour d’une seule et unique route, les maisons sont alignées, toutes orientées vers le sud, toutes entourées d’une longue cour intérieure vitrée, fer forgé et vitraux. Les maisons ne sont pas riches, mais coquettes et bien entretenues. Quel changement avec la Bulgarie et ses villages de taudis. Et les routes sont propres. Quelle surprise. Nous nous étions habitué aux déchets… Ici, il y en a parfois, décharges sauvages, mais tellement moins. Nous croisons aussi nos premières charrettes roumaines, un mode de transport ancestral encore beaucoup utilisé. Il y aurait quelque 750 000 charrettes enregistrées, l’assurance du véhicule étant obligatoire.

L’erreur

Pour midi, nous décidons de nous arrêter manger dans l’un d’entre eux, nous trouvons un parc et un jardin d’enfant. Nous nous stationnons et mangeons, tranquillement, à l’intérieur. Laisser jouer les enfants dans le parc est notre habitude mais aïe, c’est interdit maintenant, non ? Non, ça ne l’est pas. Des enfants jouent et des parents les y amènent. Précautions tout de même, j’enfile des gants à mes deux petites loustics et donne consigne de ne pas jouer sur les mêmes structures que les autres enfants. Il y a plein d’installations différentes, et peu d’enfants. Lison et Solène y jouent quelques minutes, pas longtemps. Moi, je file trouver du pain dans l’épicerie d’à côté. Je me pointe. Observe si l’on me fait signe de rester dehors, non, je rentre. Je fais mes petites courses. La caissière est masquée, normal. Une autre salarié m’interpelle en anglais. “Avez-vous le droit d’être ici ? Les pays est fermée aux étrangers.” Je comprends sa question et son inquiétude et prends le temps de répondre patiemment en essayant de la rassurer. Elle parle très bien anglais et traduit tout à sa collègue. “Mais vous comprenez que l’on a peur ?”. Évidemment je comprends, j’ai peur moi aussi. Je suis tellement désolée de faire peur ainsi. La discussion a été cordiale et très humaine. De retour à la maison, pas le temps de raconter cette discussion que Pierre me prévient. “La police arrive pour nous contrôler”. Je lui passe les passeports et le papier de la douane, le formulaire Covid-19 qui prouve la légalité de notre notre présence. Contrôle, appel d’un supérieur, les policiers valident mais partent avec nos papiers pour en faire une copie. Vont-ils revenir ? Oui, nous récupérons nos passeports. “You must go now, 5 minutes max, people are scared”. Scared. Effrayés. Quelle dure sensation de penser que nos faisons peur aux gens. Terminés les villages. Nous devons vraiment rester planqués. Isolé et planqués. Est-ce un voyage ? Nous n’avons pas le choix. Nous faut-il rentrer pour autant ? La question continue à tourner dans nos têtes.

La fuite

Nous partons immédiatement. Plus qu’une heure de route. Encore une heure de route. Et nous devons impérativement trouver de l’eau.  Park4night nous laisse penser qu’il y en a sur certaines aires d’autoroute. Nous les faisons toutes. Elles sont toutes pareil. Un bloc sanitaire bien entretenu où crèche un gardien. Le premier nous permet de remplir deux bidons seulement. Au second l’eau n’est pas potable, comme au troisième et au quatrième. Au cinquième nous abandonnons et nous voyons en passant un robinet extérieur qui nous aurait de remplir au moins le tank. Mince ! Au sixième, nous nous arrêtons. Un robinet extérieur, avec un tuyau qui rentre pile dans le réservoir. Et en plus elle est potable ! Danse de la joie. Nous avions vraiment besoin de cette eau pour se laver les mains toute la journée et être autonome le plus possible. Ouf, la journée est terminée et le spot n’est pas loin.

Des nouvelles des Vert Vanlife, au J2 de leur confinement dans un champ bulgare. Un panneau a été planté à l’entrée de la parcelle. “Attention quarantaine”. Le maire est venu leur porter quelques vivres, en les déposant loin d’eux, et en vantant son geste généreux sur Facebook. Un homme est venu les filmer, de loin aussi et masqué… Mais ça va, ils ont le moral et pour l’instant, la situation les amuse encore.

Au bord du Danube

Le Danube, un pont routier, un pont ferroviaire. Un chemin de terre. Une ferme abandonnée. Une prairie qui longe la rive sur plusieurs kilomètres. Voilà, nous serons ici, seuls, loin des autres, loin de la ville en face, sur l’autre rive de cet immense fleuve. Les enfants sortent jouer au jardin. Nous nous sentons confinés, comme tout le monde, mais notre jardin change tous les jours. Quel soulagement d’avoir trouvé ce lieu. L’endroit est beau et le soleil est doux. Nous allons dormir avec le Danube, rien que ça. À ce moment là, nous dégustons l’instant, encore plus. Le voilà ce jour bonus, ce rab de voyage, cette bouffée de nature qui nous oxygène.

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