Voyage en incertitude

Lundi 23 mars 2020. J255. Roumanie. Dur dur de sortir du lit. Non pas que nous soyons déprimés. Mais qu’il fait froid dans l’Emile-Pat tant que personne n’a allumé le chauffage et que toutes les filles, une après l’autre, sont venues chercher des câlins sous notre couette. À cinq dans la capucine, impossible de bouger.

Famille d’accueil

Pendant que les enfants font l’école, les parents travaillent ce matin. Nous faisons le point sur les propositions reçues, les localisations, les distances. Nous appelons une première famille, à Bucarest, qui semble se faire déjà une joie de nous aider.

Nous sommes un peu mal à l’aise car ils ont trois enfants du même âge que les nôtres, nous aimerions bien les rencontrer et passer du temps ensemble, mais ce ne sont pas là les règles du confinement. Nous sommes prêts à respecter strictement l’isolement social, même si nous sommes accueillis chez des personnes très sympathiques. Appel. Elodie et son mari nous ouvrent grand leurs portes. “Si l’on vous accueille, c’est pour rendre le confinement plus vivable à tous. Nos enfants seront heureux de jouer avec les vôtres. On formera comme une cellule familiale un peu plus élargie que la normale” nous propose-t-elle en substance. Cette chaleur humaine nous réchauffe profondément. Bien sûr nous continuerons à vivre, dormir et manger chez nous, mais nous nous entraiderons. Eux ont besoin de travailler, nous nous pourrons assurer l’école. Bien sûr que nous acceptons, comment résister à une telle invitation quand on vit isolé depuis plusieurs semaines ? C’est entendu. Nous irons chez eux dès demain. Joie dans l’Emile-Pat. Nous rangeons notre intérieur, les filles acceptent enfin de s’habiller, et nous nous préparons à rouler. Bucarest est à quatre heures de route.

Ah bah en fait non

Une heure plus tard, Elodie nous rappelle. Elle a annoncé à ses voisins notre venue et leur a demandé de confirmer leur accord préalable. Leurs enfants jouent tous ensemble tous les jours, si l’on se rajoute à la bande, il faut que tout le monde soit d’accord. 3 ont accepté sans condition. 1 a mis son veto. Elodie est en colère et infiniment navrée. Mais respecter la demande de ses voisins  est prioritaire pour eux. Ils ne peuvent donc pas nous accueillir. Les positions d’Elodie et de son voisin sont parfaitement compréhensibles. Mais c’est la douche froide quand même.

(re) Contrôle

Et comme pour en remettre une couche, voilà que deux hommes débarquent et nous interpellent en restant planqués dans leur véhicule, pour nous contrôler. Tristitude. Le maire estimons-nous. Il nous demande d’où venons-nous et prend notre numéro de téléphone. Le médecin du village nous rappelle. Une femme, qui parle un français prudent. Voilà qu’un médecin nous contrôle par téléphone… “Est-ce que vous toussez ? Non. Avez-vous de la fièvre ? Non. Depuis quand avez vous quitté la France ? Juillet 2019. Whaaattt !” s’exclame-t-elle. Nous lui expliquons notre voyage et lui énumérons les pays traversés depuis janvier. Elle est satisfaite. Elle nous rappellera. “C’est bon, vous êtes libres. Vous n’avez pas besoin de faire une quatorzaine. Nous annonce-t-elle. Par contre, j’aimerais bien que vous m’embarquiez dans votre voyage !”. Sympa finalement ces roumains. “Et si l’on veut vous contrôler une nouvelle fois, ou bien si vous demandez un hébergement, gardez mon numéro et rappelez-moi, j’expliquerai votre situation pour que l’on vous laisse libre ou pour que l’on vous accepte”. Surprenant ! Sommes nous donc protégés pour l’avenir ?

En recherche d’un logement ou jardin pour se confiner

Et en même temps que cette affaire, nous avons préparé le repas de midi en cherchant un plan B pour s’arrêter. Pour l’instant en Roumanie nous avons le droit de nous déplacer la journée, sans avoir à se justifier. L’attestation sur honneur est nécessaire entre 22h et 6h du matin.

Une autre femme nous propose de nous mettre gracieusement à disposition un appartement qu’elle loue habituellement aux touristes, tous ayant annulé leurs réservations en cette période. Cette proposition est alléchante, surtout pour ne plus avoir à se soucier des recharges en eau et gaz, pouvoir laver tranquillement son linge, avoir de la place… Mais cela implique de trouver un stationnement sûr et peu coûteux pour notre camping car. Et ça, c’est une autre paire de manches. Un nouvel appel à la solidarité : “quelqu’un aurait il un stationnement sûr et gratuit à Bucarest ?”… bouteille à la mer.

En attendant l’interdiction stricte de se déplacer

Que faire. S’arrêter à Bucarest n’est pas encore réalisable. Continuer notre train-train semble possible. Mais possible pour combien de temps encore ? Vont ils durcir le confinement ? Nous décidons de rouler un peu vers l’est, nous rapprochant de Bucarest sans quitter notre itinéraire initial. Nous déciderons demain. Nous trouvons un spot près d’un bras du Danube. Un pêcheur est là, nous restons loin. Et nous ne sortons pas de toute manière, il fait bien trop froid. L’endroit nous plaît, isolé et caché, avec une jolie vue en prime.

Ce soir, Capucine fait le point sur la situation auprès de ses amis par un petit message. Elle résume très bien les choses et termine ainsi : “Les parents décideront demain. Mais hier aussi ils ont dit qu’ils décideraient demain”. Vie d’incertitude.

Et puis comme tous les soirs nous posons les téléphones et faisons autre chose. Un jeu tous ensemble. Et on cuisine. Nous n’avons plus de pain, Lison se charge d’en faire. Un pain à la poêle, comme la dernière fois, mais avec un peu de farine de maïs dans la pâte. C’est que l’autre jour je m’étais encore trompé en achetant de la farine. Il faut maintenant arriver à l’utiliser. En fouillant mes placards, j’ai retrouvé une conserve maison de pêches au sirop. Zou, dans un gâteau, en remplaçant la farine de blé par de la poudre d’amande. Et ce soir, c’est Solène qui s’en charge. Les mains dans l’appareil à cake, elle patouille très efficacement. Moi je manage les deux en préparant des patates. Il faut parfois avoir six bras.

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