Confinement, l’épilogue

Vendredi 15 mai 2020. Snagov, Roumanie. Il est arrivé, ce fameux 15 mai, jour de déconfinement en Roumanie. En réalité il m’a surpris hier matin. Je croyais que le 15 mai était samedi. J’ai effectivement un peu perdu les pédales du temps qui passe à Snagov. Il commençait à nous paraître long, le temps, en apportant chaque jour son lot d’espoir et de contrariétés, de petits bonheurs et de grande peine, d’énergie et de résignation. Nous ne sommes en effet pas grand chose face au vivant, aussi petit virus soit-il, nous avons tous dû chambouler nos vies, stopper nos projets et geler nos rêves. Les paysans pour qui je travaille le disent pourtant tout le temps, c’est la nature qui décide, et nous on s’adapte. Sauf que nous, nous qui ne travaillons pas avec la nature, la météo, les plantes et les animaux,… nous avons méchamment pris l’habitude de faire ce que nous voulions, quand nous le voulions, dans l’illusion de la toute-puissance. Et voilà que depuis deux mois notre monde est ballotté dans une tempête d’incompréhension et d’incertitudes, noyé d’incompétence inévitable et de mauvaises décisions, mais d’où a émergé aussi des vagues d’humilité et d’humanité.

Leçon d’humanité

Humilité et humanité est ce que je retiens de cette crise. Parce que je sais que le discours médiatique se doit d’être anxiogène pour que nous tendions l’oreille, je prends toujours soin d’être attentive à ces bonnes nouvelles systématiquement étouffées par le scandaleux. La première est que le choix politique a été de protéger des vies, celles des fragiles, en imposant presque partout dans le monde un confinement socialement et économiquement extrêmement coûteux. Aussi discutable que cette méthode puisse être à posteriori, en connaissance des conséquences et des erreurs de parcours, il faut tout de même garder à l’esprit que les choix qui ont été faits ont été guidés par une volonté de protéger des vies au détriment du coût économique.

Humilité et humanité, de tous ces gens qui ont aidé des voisins, cousu des masques, offerts des repas,… Les gestes de solidarité ont éclos sans bruit et partout. La palme de la solidarité, la Carapate la remettra évidemment à Laura et Gaël qui, en pleine tempête d’incertitude et de peur, ont ouvert leur porte aux étrangers que nous sommes, inconnus et pestiférés, et nous ont mis en sécurité presque deux mois durant, tout en essuyant les reproches des autorités locales qui se seraient bien passées de notre présence. Aurions-nous fait de même ? Recevoir un mail d’une famille au profil sanitaire indéterminé demandant un coin de jardin pour une durée indéterminée, et offrir toute sa maison et son confort. Leçon d’humanité.

Tempête médiatique et émotionnelle

Pendant ces quinze jours, nous avons scruté les communications du gouvernement roumain, celles résumées et traduites en français par deux médias en ligne, pour savoir ce qu’il en serait des conditions de déconfinement. Alors que la France avait annoncé la limitation des déplacements à 100 km, nous craignions que la Roumanie fasse de même.

Mardi 5 mai, l’information tombe. La liberté de circulation sera limitée au périmètre de sa commune. Stupéfaction. Nous ne nous attendions pas à un périmètre si petit. Laura en rigole. « Ce n’est pas étonnant, la Roumanie est coutumière des mesures similaires aux mesures françaises, mais toujours en plus strict » explique-t-elle. Un roadtrip dans un village de deux kilomètres de long, sur un kilomètre de large… Nous, ça ne nous fait pas rire du tout. Une première vague de désespoir nous envahit. Nous avons besoin d’air. Nous prenons nos enfants et puis tiens, allons voir les chèvres à côté de la forêt. Attestations dans le sac, vélos pour Lison et Pierre, baskets pour Capucine et moi, nous sortons, traversons le terrain vague en face de la maison, rejoignons la grande route qu’il faut longer un peu avant de pénétrer dans le bois, et d’atteindre l’enclos de ces jolies chèvres planté dans un décor de verdure rectiligne, digne d’un paysage de bureau Windows. Nous ne comprenons toujours pas l’utilité de ce petit troupeau. Font-elles du fromage ? Il n’y a aucune installation de traite. Font-elles de la viande ? Ou servent-elles simplement à nettoyer le sous-bois ? La réponse nous restera inconnue, autant que notre avenir post-déconfinement. Après avoir joué à leur donner trois touffes d’herbe, conseil de crise en famille. Que faire ? Rester chez nos hôtes après le 15 mai ? Et jusqu’à quand ? Rentrer en France, puisque ça nous est possible ? Ou trouver une autre solution, une astuce, un truc qui nous autoriserait le déplacement. Aujourd’hui, parmi les raisons autorisées de déplacement, il y a une ligne qui mentionne le bénévolat pour une association. Raisonnablement, nous pouvons parier qu’elle sera maintenue après déconfinement. Alors pourrions-nous trouver une association à aider, dans un cadre plus naturel, montagnard ? Tempête de cerveaux. J’ai lu un article sur un sanctuaire de protection des ours en Transylvanie qui fonctionne grâce à des bénévoles. Et puis nous pensons aussi au woofing, cette pratique où l’on va travailler bénévolement dans des fermes en échange du gîte et du couvert. Le woofing est encadré légalement et une association nationale coordonne la mise en relation des bénévoles et des hôtes. C’est décidé, nous creuserons ces deux pistes. De retour à la maison, deux mails sont envoyés. Deux bouteilles à la mer.

Mercredi 6 mai. Il faut aller rechercher le robot de piscine de l’autre côté de Bucarest. Pierre part avec Gaël pour faire quelques courses de bricolage en plus. Je reste seule avec les 4 enfants pour gérer l’école et le repas. Et ce fut compliqué. Béatrice n’accepte pas mon autorité, le cadre que je lui impose et même les jeux que je lui propose. A la moindre contrariété, elle rejoint sa mère en pleurant, perturbant les réunions téléphoniques qui l’occupe. Heureusement, Capucine prend les choses en mains et avec sa gouaille et son enthousiasme, elle embarque tout le monde dans un labo des couleurs pour des expériences surprenantes. Très bien, je m’échappe pour préparer le repas. Puis quand l’heure arrive de mettre la table, deux verres tombent par terre et se brisent en mille petits morceaux. Regalère. Quand Pierre rentre, il se sent nauséeux et se couche. Toutes les journées ne sont pas si légères. Du côté des demandes de bénévolat, pas de réponse.

Jeudi 7 mai. Matinée au lit, ouais, carrément. Ecole avec l’une, puis l’autre. C’est bien de faire l’école sous la couette quand le temps est morose dedans comme dehors. En même temps, je relance le woofing, le sanctuaire des ours,… Une réponse du sanctuaire ; « Non, ce n’est pas possible en ce moment ». Évidemment. Mais déception quand même. A midi, Laura m’apprend que ses collègues ont une information comme quoi les roumains seraient totalement libres de circuler le 15 mai. Ha bon ? Comment peut-on annoncer une chose et son contraire deux jours après ?… Apparemment oui, une nouvelle annonce officielle a été faite en ce sens aujourd’hui même. Faut-il s’attacher à cette information ? Ou s’attendre un nouveau revirement de la situation ?… Ne pas se faire de fausse joie, mais se préparer quand même. Pierre répare la table du camping-car aujourd’hui. Il aura mis du temps à s’y mettre mais il a réussi l’exploit de solidifier vraiment la table, tout en conservant sa mobilité qui permet de transformer l’espace banquette en lit. Voilà que je retrouve mon homme debout sur la table. « Je teste, voir si c’est solide ». C’est solide. C’est vraiment une bonne chose de faite !

Aujourd’hui est aussi un jour à marquer d’une pierre blanche, car Gaël commence l’ouverture de la piscine. L’événement du confinement, aux yeux de Lison. Tous les enfants mettent la main à la pâte mais il faudra encore deux jours de travail pour la nettoyer. Sous la bâche qui la recouvrait, on retrouve Sybille, le premier hamster, noyée…

Vendredi 8 mai. L’association de woofing nous répond. « Farms can host new people but it is at their own risk ». Nous comprenons que nous pouvons demander. Mais nous ne sommes pas encouragés à le faire. Puisque la limitation des déplacements n’est pas certaine, nous décidons d’attendre.

Ce vendredi là, mon frère m’annonce que ma grand-mère maternelle est hospitalisée depuis le début de la semaine. 90 ans, fémur cassé, entre autre… les médecins sont rassurants, mais impossible de ne pas être très inquiète.

Dimanche 10 mai. Après avoir passé notre samedi à regarder le robot nettoyer la piscine et observer sa température remonter, le grand jour est arrivé. Gaël nettoie et gonfle toutes les bouées. A midi, c’est le premier bain de l’été. Béatrice est très à l’aise et joue à sauter tête sous l’eau. Les miennes sont plus prudentes. Capucine se transforme en professeur de natation pour Lison qui s’exerce avec la persévérance qu’on lui connaît. Le lendemain sera une journée estivale similaire, piscine, sieste, piscine. Lison poursuit son apprentissage et Capucine découvre l’utilisation d’un masque et d’un tuba. Solène fait le canard dans sa bouée, en toute autonomie, mais loin du vacarme, prenant bien de ne pas se mouiller le visage.

Mardi 12 mai. Re-revirement de situation. Le déconfinement du 15 mai ne nous autorisera pas à circuler librement. Le projet de loi « d’état d’alerte » a été déposé et soumis à débat public. Débat public ? Mais un débat public prend du temps et la fin de « l’état d’urgence » est dans deux jours ! Nous comprendrons plus tard qu’il s’agit certainement d’une erreur de traduction, la loi est simplement soumise au débat parlementaire. Mais le temps presse, tout de même. Nonobstant, il a été proposé que l’on puisse se déplacer pour « activités de pleine nature ». Peut-être le camping pourra-t-il être considéré ainsi ? Attendons encore. Mais pas sans fin. Nous sommes venus ici pour nous confiner, nous devons trouver une porte de sortie avec le déconfinement, car après sept semaines à Snagov, nous ne pouvons pas rester indéfiniment à l’arrêt. C’est décidé, quelle que soit la situation, nous partirons ce week-end. Même si nous n’avons pas d’autre choix que de rentrer en France.

Sur le front de la piscine, c’est au tour de Lison de découvrir les joies d’un masque de plongée. Mauvaise idée. Même bien protégée, une goutte d’eau arrive à atteindre le fond de son oreille. Arrêt immédiat et position allongée pour que la goutte s’évacue et que l’oreille sèche.

Mercredi 13 mai. École rapide et retour au lit pour lire. La grisaille laisse la piscine fermée, la tristesse et l’oisiveté nous envahit. Pas de nouvelles du front des négociations pour cette nouvelle loi « d’état d’alerte ». Appel à mon grand-père, il est très pessimiste pour Mamilène. C’est si dur à entendre. Est-ce finalement le signe qu’il nous faut rentrer en France ? A ce moment là, c’est la meilleure option que nous avons. J’ai peur et je suis triste, pour ma mamie, pas pour ma Carapate. Si nous n’avons pas d’autre choix, nous rentrerons. J’appelle des copines, toujours présentes pour remonter le moral. A la sortie de la sieste, j’embarque tout le monde pour se changer d’air, direction nos amies les chèvres. La sortie fait du bien. Béatrice est incroyable et drôle en starlette rose. Au retour, Laura est en vacances pour trois jours, l’ambiance est plus légère. Nous nous mettons d’accord sur les viandes du barbecue de demain, la chaleur revient. Par contre, Lison a l’oreille douloureuse…

Jeudi 14 mai. Je réalise que le 14 est aujourd’hui et le déconfinement demain vendredi, et non samedi comme je me l’étais inscrit dans mon esprit. Chouette, nous avons gagné un jour ! Mais nous ne savons toujours pas à quelle sauce nous serons mangés. Aujourd’hui, la cour constitutionnelle communique pour dire que le projet de loi est correct mais qu’il ne peut pas porter atteinte aux libertés. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Que le gouvernement ne pourra pas limiter les déplacements ?…

Des nouvelles de Mamilène, elles sont un peu moins mauvaises. Cela change notre état d’esprit. Il faut que l’on arrive à sauver ce voyage. Et la loi ne va visiblement pas nous rendre notre liberté demain, ni dans quelques jours. Allez, osons contacter quelques fermes roumaines qui font du Wwoofing, même si l’on risque de passer pour des fous ou des inconscients. Peut être que certaines ont besoin d’aide et ne sont pas fermées aux étrangers ? Pierre paie notre adhésion à l’association qui nous donne accès aux coordonnées des quelques 30 ou 40 fermes répertoriées dans le pays. J’épluche la liste et envoie quelques 25 demandes en expliquant bien notre cas. Je cible les ferme qui ont des animaux et les familles avec enfants. Certaines font carrément rêver. Les bouteilles à la mer sont lancées.

Ce soir, la loi de l’état d’alerte est adoptée. Il était temps, le déconfinement est demain. L’interdiction de circuler librement hors de sa commune est bien confirmée et la liste des exceptions cite, entre autres, la randonnée. Ce cadre légal est suffisamment bancal pour que nous puissions reprendre le voyage prudemment. Prions pour que nous ayons des réponses positives des fermes.

Vendredi 15 mai. Jour de déconfinement. Qui ressemble parfaitement à tout autre. Avec son lot d’incertitudes et d’espoir. Mais Lison se plaint régulièrement de son oreille et l’antibiotique en gouttes que nous pouvons lui administrer lui fait toujours aussi mal. Comme en décembre en Calabre, nous devons la soigner par voie orale. Un médecin ? Laura nous oriente vers sa clinique privée et Gaël nous y amène.

Clinique de Snagov

Masques sur le nez, nous nous présentons aux deux cosmonautes de l’entrée qui nous prennent en charge immédiatement et nous installent dans un box. Un ORL pétiatrique ne tardera pas à ausculter Lison. Photo des tympans, nous n’avions jamais eu accès à un matériel aussi en pointe en France, même lors de consultations spécialisées à Toulouse. Une gaine est insérée délicatement dans le conduit auditif et nous avons l’image à la télé. « Take a picture! », me dit l’homme. J’avais déjà vu les oreilles de ma fille avec un otoscope, mais je n’avais jamais pu en prendre une photo ! L’infection est minime, le médecin nous prescrit le même antibiotique qu’en décembre. Il est très pédagogue, nous décrit la situation en s’appuyant sur des schémas et des photos, et malgré mon anglais limité et ce masque qui empêche de bien entendre, j’en apprend encore sur le fonctionnement du système auditif. Nous sommes très satisfaits. Mais ici, il faut payer. 50 €, le prix d’une consultation spécialisée en France.

Du côté de l’actualité, je lis aujourd’hui que la loi a été votée trop vite, que l’état d’alerte ne peut entrer en vigueur que lundi, et que pour ne pas laisser le pays sans aucune restriction pendant trois jours, un autre comité a déclaré un autre état d’alerte. C’est décidément à n’y rien comprendre.

Du côté du woofing, deux réponses positives. Encore quelques échanges et nous arriverons peut-être à organiser quelque chose. Nous allons certainement pouvoir partir prochainement, il est temps de profiter du four en cuisinant un petit poulet au potimarron. Un régal.

Départ en woofing

Vendredi 15 mai, 21h. Feri nous appelle. Il nous propose de rejoindre sa ferme en début de semaine. Ils n’ont pas de travaux à partager pour le moment mais peuvent nous accueillir. Il est d’accord pour que nous utilisions sa ferme pour justifier d’une action de bénévolat. Nous nous ferons une auto-attestation en roumain, précisément comme il est demandé de le faire par les autorités, et nous pourrons circuler. Nous arriverons chez lui mardi, c’est entendu. La Carapate continue.

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2 réponses à “Confinement, l’épilogue”

  1. Avatar de Creusoise
    Creusoise

    J’avais raté ce post , n’en ayant pas eu l’annonce par mail comme d’habitude …
    M’inquiétant un peu pour vous j’ai regardé FB et ai vu le lien de cet article
    Bon, il est temps je crois que vous puissiez reprendre la route … Votre moral commence à en prendre un coup !
    Si cette ferme peut vous accueillir pour quelques jours ça vous changera , vous donnera un peu de temps pour voir ce que vous pouvez faire. Une famille est confinée en woofing mais en Grèce il me semble , la famille Guézelle. Il sont d’ailleurs peut être repris la route puisque la Grèce est déconfinée.
    Vous parliez de mardi , c’est à dire aujourd’hui … J’espère que vous avez réussi à  » vous évader » et que vous avez de meilleures nouvelles de votre mamie.
    Ici, déconfinement très léger pour nous; je ne suis pas encore ressortie de mon hameau mais demain mes petites filles reprennent l’équitation …
    Pas de vadrouilles avec le fourgon aménagé comme tous les ans … Déjà on est limités à 100 km et puis je suis à risque comme ils disent … D’habitude je suis sur les routes avec une de mes petites filles …
    J’espère que vous allez pouvoir retrouver les joies de la carapate … À bientôt de vous lire !

  2. Avatar de Creusoise
    Creusoise

    Le mail de L’avis de ce post vient d’arriver !

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