Hortobágyi et la mythique Puszta

Mercredi 4 août 2021. Cela fait plusieurs jours que les filles tentent d’apprendre Basile à chasser moustiques et autres insectes volants qui se coincent dans le camping-car. Ce midi, nous sommes envahis de petites sortes d’abeilles aux ailes à moitié transparentes. Basile se fait un plaisir à les croquer. Au moins, il sert à quelque chose ce chat de voyage. Après un repas froid et une courte sieste, nous prenons la route de Hortobágyi à 30 minutes de là. Au programme, une promenade à calèche et une visite si possible d’un hôpital pour oiseaux.

Le désert hongrois

Hortobágyi est un village au cœur d’un parc naturel du même nom, classé au patrimoine de l’Unesco. La puszta, terme slave qui signifie « désert », est une steppe typique du Bassin des Carpates.

Plaine aride parsemée de retenues d’eau artificielles et de marécages, formant une milieu idéal pour de nombreuses espèces de faune et de flore et un lieu de vie important pour les oiseaux migrateurs. A ce titre, le parc est également classé réserve de biosphère. Côté steppes, il constitue un lieu de pâturage ancestral pour des animaux domestiques typique du pays. De surcroît, Hortobágyi occupe une place particulière dans l’imaginaire hongrois. Au XIX ème siècle, peintres et poètes venaient ici admirer les cowboys poursuivant leurs troupeaux dans des paysages d’une platitude infinie. De 1950 à 1953, la Puszta a été la « Sibérie Hongroise ». Des milliers de personnes y ont été déportées et tenues en captivité dans des camps de travail. Pendant très longtemps, les victimes et les témoins survivants n’osaient pas en parler. Les faits et les documents concernant leur histoire étaient consignés dans des archives secrètes fermées même aux historiens jusqu’en 1995.

Pour toutes ces raisons, Hortobágyi est pour nous un de ces “points cœur” qui est épinglé sur notre carte depuis longtemps. Notre guide nous recommande un tour de calèche au Haras de Mátai, un “must-do” pour avoir un panorama de cet espace naturel et culturel hors du commun.

Nous arrivons aux haras dix minutes avant le départ de la dernière calèche, juste à temps. Je file prendre les billets. Mais, panne d’électricité, le paiement par carte bancaire impossible, on nous demande du cash que je n’ai pas. Aller retirer de l’argent au village ? Pas le temps. Payer en euros ? Je n’ai pas non plus. Laisser mon passeport et payer plus tard m’est refusé aussi. Revenir demain ? Impossible, nous avons RDV plus loin avec nos amis. Je repars contrariée. Et puis je me souviens que les filles ont leurs petits porte-monnaie. Nous leur prélevons une partie de leur argent de poche et je retourne à la caisse en courant pendant que Pierre sort Solène de la sieste et me rejoint. La caisse a fermé, mais une gentille dame m’encaisse. Je rejoins les visiteurs qui finissent d’embarquer en croisant les doigts que le reste de la famille arrive vite. L’hôtesse d’accueil, d’abord très gentille accepte d’attendre, puis s’impatiente vite. Au moment où elle me demande de les appeler pour leur dire de se dépêcher, je les vois arriver. Embarquement immédiat. Les calèches démarrent en cahotant allègrement.

Et la Puszta s’ouvre à nous, à perte de vue. Quelques bâtiments d’élevages restent près du village. Leur construction est traditionnelle, toits de chaume épais descendant parfois jusqu’au sol. Plus loin à l’horizon, des puits à balancier. Dans une bergerie, les brebis Racka, avec leurs longues cornes torsadées et leur toison emmêlée. Puis on nous amène voir les fameux Nonuis, ces chevaux de trait léger, et leurs cavaliers en robe bleue. Bœufs gris et buffles des marais, couverts de boue pour se protéger du soleil et des insectes. Les robes bleues font courir leur attelage. Les calèches lèvent la poussière. On se croirait réellement au Far-West.

L’hôpital des oiseaux

À l’heure tardive où nous arrivons à l’hôpital des oiseaux, la visite est encore possible. De chaque côté d’un couloir central se succèdent des petites salles de convalescence pour tout un tas d’oiseaux éclopés. Cigognes, rapaces, grues, chouettes et hiboux, corbeaux, petits moineaux,… A travers des vitres sans tain nous pouvons les observer discrètement. Le bureau du vétérinaire et la salle d’intervention aussi sont visibles de cette manière. Il s’agit pour l’hôpital d’assurer aussi une mission de sensibilisation du public quand à la protection des animaux. Dehors, nous pouvons faire le tour de multiples volières où d’autres oiseaux poursuivent leur repos avant, pour ceux qui le peuvent, de retourner à la vie sauvage.

La grande volière, stade ultime avant la remise en liberté

Au centre, une immense volière. Nous prenons du temps pour traduire les différents écriteaux. Oui, oui, nous pouvons pénétrer à l’intérieur, nous sommes étonnés. Un promontoire nous permet de faire face de très près avec tous les oiseaux : soixante cigognes et quelques rapaces, aigrettes, cygnes et grues. La rencontre est fascinante.

Le visiteur fait partie du dispositif de soin des oiseaux, au stade ultime avant leur remise en liberté : il s’agit de les réhabituer à avoir peur de l’homme. Après avoir été soignés et nourris par quelques être humains, la grande volière permet aux oiseaux d’être confrontés à d’autres être humains inconnus, qui n’ont pas tous des intentions similaires. Les soigneurs observent le comportement des oiseaux : s’ils se dirigent vers le côté opposé d’où se situe le visiteur, c’est bon signe. Bien que cela les mettent en état de stress, c’est l’effet recherché.

Après remise en liberté, tous les oiseaux ne se réaccommodent par forcément à la vie sauvage : soit qu’ils soient trop handicapés (bec cassé, patte atrophiée, …) ou qu’ils aient trouvés définitivement une bonne adresse pour se nourrir. Par exemple certaines cigognes ne peuvent plus migrer et restent là malgré l’hiver. Elles connaissent très bien l’heure du nourrissage, et le printemps venu elles font leur nid dans le champ à côté de la grande volière. L’hôpital des oiseaux laisse donc des branchages à disposition.

Le nourrissage

Nous assistons, éberlués, au nourrissage du soir : un soigneur entre avec une brouette de jolis petits poussins morts et les déversent un peu partout comme s’il jetait des graines aux oiseaux. Capucine est écœurée. D’où viennent ces brouettes de poussins quotidiens ? Certainement des élevages alentours qui, pour avoir des poules pondeuses, se débarrassent des poussins mâles quelques jours après leur éclosion. Malgré l’aspect intolérable sur le plan éthique, la pratique est courante dans cette production qui n’a pas d’autre solution économiquement viable pour s’aligner avec les prix bas de notre alimentation. Même en France. J’ai lu que le sexage dans l’œuf vient d’être rendu possible très récemment sur le plan technologique, ce qui permet désormais de faire ce tri avant l’éclosion. Va-t-on arriver à le mettre en œuvre dans les élevages ? Ce n’est plus qu’une question économique. Sommes nous prêts à entendre cette réalité et à payer plus cher nos œufs ? Je trouve l’enjeu sociétal passionnant.

Mais pour l’heure, ces brouettes de poussins font le bonheur des pensionnaires de l’hôpital et pour nous, la scène est cocasse. Les cigognes les attrapent du bout du bec et doucement, elles tentent de se les enfiler tout entier. Certains pendouillent lamentablement. D’autres n’ont plus que deux pattes qui dépassent. Le cou des volatiles double de volume. Les cigognes tentent d’en avaler un deuxième ou un troisième, mais on dirait qu’il n’y a plus de place. En second, ce sont les rapaces qui se servent et vont déchiqueter leur poussin plus loin. Nous restons un moment à observer ce drôle de monde.

Puis arrive une autre brouettes amenée par une troupe d’enfants du village. Bruyamment, ils nourrissent les oiseaux des petites volières. Nous leur emboîtons le pas et nous nous joignons à la joyeuse bande. Très vite, Lison et Solène prennent part à la distribution et jettent des poussins morts ça et là. Pas Capucine, pas question de toucher le moindre bébé mort. Au début des vacances chez son parrain agriculteur elle s’occupait des poussins de la ferme. Ce souvenir l’émeut.

Il est bien tard quand nous retournons au camping car. Et là, encore une surprise. Nos amis Niki et Roland et leurs enfants, qui passaient par Hortobágyi, ont vu notre véhicule et nous attendent. Joie des retrouvailles. Cette famille hongroise vit à Rodez depuis une quinzaine d’années. Nos enfants sont à l’école ensemble. Depuis le début de notre projet de tour d’Europe nous nous étions donné rendez-vous chez eux, dans la ville où ils ont grandi et fait leurs études, à Debrecen. La pandémie nous avait volé ce moment l’année dernière. Il est temps de se rattraper. Demain, la maman de Niki nous accueillera chez elle puis nous visiterons le centre ville et le quartier universitaire. Pour le moment, nous nous installons sur les bancs du parking de l’hôpital pour un apéro improvisé pendant que les enfants, trop heureux d’être ensemble, disparaissent aux jeux d’enfants plus loin. Nous resterons ici pour dormir, avec l’autorisation du propriétaire, sous les claquements des cigognes installées dans le nid au dessus de nous.

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