Samedi 25 janvier 2020. J209. Imotski, Croatie. Changement d’ambiance. Hier nous étions au soleil au bord de la mer. Ce matin nous sommes dans une forêt de conifères, sous la pluie. Nous sommes à proximité de la ville d’Itmoski, à proximité de la frontière bosnienne, mais aussi à proximité de deux étranges lacs au fond d’un trou. Nous ne savons pas encore de quoi il s’agit et ce matin, notre téléphone a déjà capté les réseaux bosniens provoquant l’arrivée du SMS d’Orange « Bienvenue en Bosnie-Herzégovine, désormais un appel vous coûtera 2,90€/la minute, internet 13€ le Mo et tout appel ou SMS reçu est aussi payant… « . Merci ! On passe en « mode avion » immédiatement. Nous capterons qu’en fin de matinée qu’il est possible de choisir son réseau et de revenir au croate européen… En attendant, impossible d’en savoir plus sur ces « lac bleu et lac rouge »…
De toute façon, ce matin il n’y a bien que les parents qui ont envie de braver la pluie pour aller voir le lac rouge à une centaine de mètres de l’Emile-Pat. À l’intérieur, Capucine a le temps de faire toute son école que Lison n’a pas encore fini de se brosser les dents. Ce décalage est bienvenu finalement, chacune travaille l’une après l’autre et tranquillement. Nous laisserons donc Capucine jouer à la maîtresse et corriger les travaux de calculs de sa sœur. De son côté, Solène continue de colorier le gros poisson qu’elle a commencé hier soir, plein de minuscules détails. Elle exerce sa motricité fine et sa concentration. Elle est impressionnante d’application. Avec Pierre, nous laissons donc notre troupe au chaud, enfilons nos capuches et partons.
Vertigineux, le lac rouge
Quelques pas et nous sommes déjà au bord du lac. Je devrais plutôt dire au bord du précipice. Une falaise, parfaitement circulaire, tombe en aplomb à environ trois cent mètres plus bas. Du lac, on ne voit qu’un demi-cercle. Incroyable. Et extrêmement flippant. Alors qu’un parking tout neuf à été construit, ici, aucun aménagement, aucun garde-corps. Le vide. La nature brute et dangereuse. Je suis carrément prise de vertiges. Je m’assois et j’ai du mal à regarder ce lac. Impossible de le voir en entier, il faudrait trop se pencher. Impossible de regarder Pierre s’approcher du bord également, je suis trop apeurée par cet à-pic qui tombe tout droit dans l’eau d’un étrange bleu aux reflets métalliques. Dieu que je suis contente d’avoir laissé les enfants à l’intérieur !
Pierre tente de prendre ce lac, je devrais dire ce trou, en photo. Impossible. Ça ne rentre pas dans le « grand angle ». En drone ? Impossible encore, à cent mètres d’altitude par rapport où nous nous trouvons, il n’est pas encore assez haut pour cadrer l’ensemble du trou. Plus haut, il passe dans les nuages. Ce lac est hors-norme. Et il est surtout incompréhensible pour nous. Car aucun garde-corps, aucun panneau d’interprétation non plus. Est-ce un cratère de volcan ? De météorite ? Est-ce une cavité souterraine effondrée, un peu comme les formations rocheuses que nous avons vu dans le plateau karstique de Škocjan en Slovénie ? Les hypothèses restent pour l’instant sans réponse. Nous ne pouvons qu’en faire le tour pour l’observer et l’assaillir de nos interrogations. Impossible non plus de descendre sur la rive, ce lac est un trou, au fond d’une falaise parfaitement ronde. Aucun ruisseau ne l’alimente, ni n’en coule. Au nord du lac, nous trouvons un point de vue avec garde-corps. Je peux enfin faire tomber mon regard au fond sans trop paniquer. Et si on lançait un caillou ? Plusieurs essais, on dirait que le fond est tellement loin que nos cailloux se désintègrent avant d’arriver. On les lance, on ne les voit pas ni toucher la falaise, ni faire des ronds dans l’eau. Ce lac est maléfique. Ha si, quand même, Pierre arrive à faire des ronds dans l’eau. C’était le « lac rouge », de part la couleur rouille de ses falaises. Plus près du village, il y a le « lac bleu », un peu plus grand. Allons voir.
Bleu, le lac bleu
À l’Emile-Pat, l’école est terminée mais Lison est encore en pyjama. Qu’importe, elle n’a toujours pas envie de sortir. Nous roulons cinq minutes et nous nous stationnons au centre ville d’Itmoski. Ici, les abords du lacs sont aménagés et maintenant, nous avons compris comment se reconnecter au réseau internet croate. Enfin Wikipédia et ses lumières ! Pierre, Solène et moi rejoignons le point de vue et lisons les explications. Ces deux lacs sont des dolines, des cavités souterraines effondrées. Ici, la montagne est effectivement karstique. Les lacs sont donc reliés à un réseau de rivières souterraines et leur niveau varie en fonction des saisons. Le lac bleu est aménagé d’un chemin d’accès construit pour la visite de l’Empereur François-Joseph d’Autriche, à la fin du 19ème siècle. L’été, les habitants s’y baignent. Et parfois, il est tellement sec qu’ils jouent au foot au fond de ce lac. Au printemps le niveau de l’eau peut monter d’une centaine de mètres, approchant le niveau le plus bas de la doline. Une fois, en 1914, le lac a débordé. À l’intérieur y vit un poisson endémique, le méné tacheté, qui en période de sécheresse apparaît dans les rivières environnantes, attestant des interconnections souterraines existantes entre ces lacs et les rivières du pays.
Le mystère est levé. Prenons la route vers la suite de nos aventures. La Bosnie-Herzégovine n’est plus qu’à quelques kilomètres. Frontière. Douane. Passeports. « Where you go ? » Est-ce une question automatique ? Ou se demande-t-il ce que fiche une petite famille ici en janvier ?… « We go to Mostar ». Ville touristique. Peut-être la seule ville vraiment touristique de la Bosnie. La réponse est banale, normale. Encore des touristes qui veulent frissonner devant les ruines de la guerre. Déplacé ? Malsain ? Je ne sais pas ce que peuvent penser les Bosniens de leur pays. Je sais que l’Europe n’a pas fait ce qu’il fallait, à leurs yeux, les a « laissés tomber ». La guerre de Bosnie a cessé quand l’administration américaine de Bill Clinton a signé un accord de paix entre bosniens et croates en 1995.
Nous voulons mieux comprendre ce pays, et le douanier n’est pas vraiment la personne avec qui discuter pour l’instant. Nous chargeons la page Wikipédia sur Mostar, nous déconnectons nos téléphones et nous passons la douane.
Les formations karstiques des Alpes dinariques
Les Balkans sont traversés par les Alpes dinariques, et composés de hauts plateaux, tel le Karst en Slovénie, qui a donné son nom à ces formations rocheuses « à trous ». Cela donne lieu à de mystiques balades en tous genres. Retrouvez quelques unes de nos vadrouilles en Slovénie dans les gorges de Škocjan et le long de la rivière Rak. Le château troglodyte de Predjama est comme englouti par la falaise. Cerknica est un lac intermittent. En Albanie, l’oeil bleu est une source karstique, une résurgence incroyablement colorée. La Bulgarie, elle, peut se targuer d’abriter à la fois la grotte de Dieu à Prohodna, et celle du diable à Devetashka. Sans oublier les sublimes parcs naturels de Plivitce et de Krka en Croatie. Hors Balkans, nous avons pu fouler le plateau karstique de Burren en Irlande.
Laisser un commentaire